D
rôle d'endroit pour une rencontre... La première chose qu'il lui aura apprise dans les toilettes de ce café à Belfast, c'est pisser sans s'en mettre plein les chaussures. Mais l'image qui l'a marqué, c'est ce visage avec la cigarette accrochée au sourire, un regard incroyable. Un soir de 1977, les yeux de Tyrone Meehan lui ont, en quelques secondes, raconté l'Irlande : son histoire, sa nature et ses combats et surtout, transmis l'amour d'une nation. Comme une évidence, ce pays est devenu la patrie de cœur d'Antoine, le petit français. Entre le membre aguerri de l'Ira et le jeune luthier, c'est une adoption réciproque et le début d'une union sacrée dont la solidité et la confiance seront mises à mal trente ans après par un acte inexpliqué, difficile à pardonner. Car en ce triste jour de décembre 2006, Antoine découvre dans le journal que Tyrone a trahi la cause et ses idéaux, - leurs idéaux - . En cela, a-t-il pour autant renié aussi leur amitié ?
Pierre Alary adapte le roman d'inspiration autobiographique du journaliste plusieurs fois primé, Sorj Chalandon. Ancré dans la dure réalité du conflit irlandais, l'intrigue relate l'expérience d'Antoine, violoniste naïf et passionné, qui tombe en fascination pour un homme dont la personnalité concentre tout ce qu'il respecte et admire. Celui-ci devient rapidement un mentor, quasiment un père. Néanmoins, pour des raisons qui resteront inconnues, le soldat pactisera avec l'ennemi. La progression dans les sentiments, la déception et la douleur sincères d'Antoine touchent au cœur grâce à la beauté du texte qui se manifeste dans la concision des phrases puissantes et les dialogues peu nombreux. En marge des évènements marquants de la lutte (grève de l'hygiène, protestation des couvertures, mort de Bobby Sands), la confession à cœur ouvert, interrompue des comptes-rendus d'interrogatoires de Tyrone par l'IRA, focalise l'intérêt. Certes, la subjectivité du personnage principal n'offre qu'une vision parcellaire et forcément partisane de la bataille, cependant, au-delà des événements et du fait avéré, - la trahison - , l'essence du propos est assurément l'humain dans toute sa complexité.
Pour cet album au contenu fort, l'auteur adopte un trait réaliste vif et nerveux qu'il habille de tons naturels (bruns, verts, jaunes), évoquant très justement les couleurs automnales de l'Eire. Les planches monochromes au rendu viscéral laissent la prose s'exprimer pleinement et impacter l'esprit.
Après avoir refermé cet ouvrage de grande qualité, le lecteur n'a qu'une envie, que la suite Retour à Killybegs paraisse rapidement pour connaitre l'histoire dans son entier, versus Tyrone ; décortiquer son ambiguïté, ses failles et ses motivations, car un individu ne nait pas traitre, il le devient.
autre adaptation de Chalandon, magnifique : Quatrième mur
Qui n'a jamais été trahi dans sa vie ? Les êtres humains sont complexes et parfois changeants. On peut aisément se sentir trahi par un ami. Il est vrai que lorsque cela prend la dimension d'une lutte politique pour l'indépendance de l'Irlande du Nord contre l'occupant anglais, cela peut prendre d'autres proportions. Mais bon, ce sont des choses qui arrivent dans tous les milieux et plus encore quand ce sont des réseaux secrets. La dramatisation n'a pas lieu d'être.
Je n'ai pas aimé le découpage beaucoup trop chaotique notamment les interludes constituant l'interrogatoire du traître à la solde de la couronne britannique. La narration n'aide pas à se rapprocher de notre héros. C'est un jeune français, luthier de profession, qui s'engage dans l'IRA et on y croit à peine. Bon, en même temps, il y avait bien des français prêts à donner leur vie pour la Syrie à savoir un autre pays.
Une erreur également lorsqu'on voit le porterait de Margaret Thatcher à la TV en 1977 alors qu'elle n'aura le pouvoir qu'en 1979. Oui, ce sont des petits détails mais cela n'échappe pas à un connaisseur de l'Histoire.
Pour le reste, j'ai été plutôt déçu par cette lecture alors que j'en attendais certainement beaucoup trop. Pour le reste, cela décrit tout de même de manière très âpres les relations très tendu entre les deux communautés sur un même territoire. La fin reste tout de même assez poignante.
Tout aussi prenant que "Retour à KillyBegs" puisqu'il s'agit de la même histoire, mais vu cette fois à travers le regard d'Antoine, l'ami "Français" de Tyrone "l'Irlandais". Un diptyque de regards croisés sur une page de l'histoire... Déchirant !!!
Une histoire vraie qui prend racine dans le conflit nord-irlandais, où Antoine (Sorj lui-même), petit français luthier de son métier, se retrouve embarqué dans les rangs de l’IRA. Ou plus exactement, il décide, malgré les conseils de son grand ami Tyrone, vrai militant républicain, de rendre des services divers à la cause, notamment les héberger dans sa chambre de bonne, à Paris. On apprend assez vite que Tyrone est en fait un agent double et bosse en sous-mains pour les royalistes. Tout le récit, majoritairement en voix off (adaptation de roman introspectif oblige), va se centrer sur le personnage faussement secondaire de Tyrone Meehan et sa relation mentor/élève avec Antoine (Tony). La réflexion se situe moins sur la trahison que sur la valeur de l’amitié. Tony, très fortement amoché par la découverte (tardive) de la trahison de son ami et mentor, va devoir évaluer à quel point Tyrone a menti, a été malhonnête ou incincère envers lui. On sent le besoin chez lui de sauver ce qui peut encore l’être chez le personnage de Tyrone, tombé largement en disgrâce auprès des républicains qui seraient prêts à le crucifier sans procès.
Sur la forme, il s’agit d’un tour de force extraordinaire de la part d’Alary qui, non content d’un découpage virtuose, réalise des planches stylisées de toute beauté, entrecoupées (idée géniale) de transcriptions de l’interrogatoire de Meehan, qui s’imbriquent impeccablement dans la narration.