« Le seul truc utile dans vos religions, le seul, c’est que parfois ça autorise de dire au voisin casse-toi, ici c’est pas chez toi. »
Depuis que Zlabya a eu son bébé, le chat se sent délaissé. Comble de malheur, deux adorables chatons frappent à la porte, font craquer sa maîtresse et lui volent son lait. Le félin erre dans les rues où il observe de surprenantes tractations interconfessionnelles. Lorsque la mosquée se voit inondée, l’imam rencontre le rabbin pour lui demander si ses fidèles pourraient prier dans son temple. Mais la synagogue est elle aussi remplie d’eau. Les deux hommes devront réfléchir de concert pour trouver une solution à leur problème. Tout devrait opposer ces compagnons d’infortune mais, dans le fond, ils s’aiment bien. Lorsqu’ils déambulent bras dessus, bras dessous en devisant sur leurs cultes respectifs, ils paraissent être les meilleurs d’amis du monde, même si l’un mange casher et l’autre halal.
Avec La Tour de-Bab-El-Oued, Joann Sfar propose un ouvrage qui a parfois l’allure d’un prêche sur le vivre ensemble. La proposition est certes noble, mais elle a un air de déjà-vu. Le scénariste n’a tout de même pas perdu sa verve. Alors que la rectitude politique actuelle interdit la critique de la croyance, il n’hésite pas à s’en moquer, à relever ses contradictions et à insister sur sa propension à antagoniser les gens. Dans cette fable, bien qu’il soit passablement absent, le plus lucide est certainement le matou qui souligne l’absurdité de la chose religieuse. Le discours a beau être par moment un peu lourd et didactique, il s’avère au final plutôt agréable.
Le style de l’illustrateur est reconnaissable entre tous. Les couleurs sont vives, voire criardes, les vignettes ont leurs habituels contours incertains, le trait est fin et nerveux. Le dessin, naïf, qui, bien qu’il semble réalisé rapidement, est joli, élégant et fourmillant de détails, tant dans le motif d’un tapis que dans celui des arrière-plan. L’artiste démontre, une fois de plus, qu’il est doué pour aller à l’essentiel en quelques coups de crayon.
Un album pertinent, à lire, sans trop se presser, pour entendre le propos de l’auteur et pour apprécier ses illustrations.
Un album qui traite du "vivre ensemble", du racisme, de tolérance, de fanatisme religieux ou plus largement de la bêtise humaine. Bref, rien de très nouveau sous le soleil. L'album regorge bien sûr de quelques bonnes idées, mais s'égare un peu dans de multiples directions et la lecture est un peu bordélique. Au même titre d'ailleurs que le dessin, toujours aussi inégal. Pour moi, seules les couleurs de Brigitte Findalky sont irréprochables. Un épisode quand même intelligent et cocasse à la fois.
Bon album, Sfar repart sur le bon pied pour cette suite du chat...
Ce tome est une réflexion sur les différentes religions : ce qui les rapproche, ce qui les éloigne...
Sfar, tout comme son chat, se moque des hommes et de leurs conceptions religieuses.
"Le Chat du Rabbin" fut à sa sortie vite considéré comme l'une des plus belles réussites de la BD contemporaine et contribua largement à placer Sfar dans le peloton de tête des artistes qui comptent : son mélange audacieux et jouissif de théologie triviale, de philosophie humaniste et de sensualité farceuse fonctionnait parfaitement, au premier comme au second degré. Et a continué à fonctionner au fil d'albums certes un peu irréguliers. Et voilà que dans ce septième volume, la mécanique se grippe et que Sfar s'égare. "La Tour de Babel" ne nous fait plus rire, et ses réflexions pesantes sur le chaos des religions, sur la bêtise humaine et sur le rôle et la nécessité des mythes paraissent à la fois forcées et superficielles. Sfar a été, on le sait, marqué par les terribles attentats de 2015, et il fut - c'est son honneur - l'un des artistes qui s'exprima de la manière la plus pertinente (et sage) sur l'Islam et sur la haine dans notre société. Avec son allégorie sur la synagogue et la mosquée inondées dans un Alger où juifs et musulmans savent encore vivre ensemble, Sfar poursuit sa réflexion sur la tolérance religieuse et la relativité de la foi, même si c'est en se réfugiant dans un passé qu'on peut le soupçonner d'idéaliser quelque peu : le problème est que la parabole manque pour la première fois de subtilité, et que le lecteur aura parfois l'impression d'une démonstration forcée (l'enlèvement du bébé, par exemple, malgré la tentative de faire du second degré...). Pour la première fois de la saga, le Chat du Rabbin lui-même nous irrite légèrement - comme il irrite les autres personnages de "la Tour de Bab-el-Oued" -, avec son obstination à chercher un sens dans la religion, mais ce n'est pas sûr que cela soit volontaire de la part de Sfar ! Le livre, trop long, cherchant sans grande cohérence et dans de multiples directions des réponses à des questions importantes (trop ?), se conclut d'une manière abracadabrante qui ne nous rassure pas sur la suite. Bref, on le referme avec un sentiment mitigé : si l'on admire la pugnacité (et l'ambition) de Sfar, on lui souhaite de retrouver une inspiration plus "mesurée" pour pouvoir poursuivre la saga d'un personnage que nous avons tant aimé et qui s'est cette fois un peu égaré.