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rancisco Boix est emprisonné au camp de concentration de Mauthausen. Photographe professionnel, il est rapidement remarqué par le Commandant Ricken dont il devient l’assistant. Dans une sorte de délire artistique, le nazi capte le portrait de prisonniers morts ; parfois, il les met en scène. Discrètement, le détenu tire des doubles des tirages et imagine un stratagème pour les cacher afin qu’un jour, ils appuient les témoignages sur les crimes commis sous Troisième Reich. Il joue ainsi avec la vie de plusieurs dizaines de ses camarades, mais le jeu en vaut la chandelle. C’est du moins ce qu’il croit.
Il n’y aura bientôt plus de survivants de la Deuxième Guerre. Peut-être est-ce pour cette raison que les ouvrages sur ce sujet se multiplient, pour qu’on n’oublie pas. Dans Le photographe de Mauthausen, l’enjeu est justement la mémoire. Héros ordinaire, le protagoniste encourt de petits risques qui, dans le contexte, sont héroïques. Le scénario de Salva Rubio s’avère convaincant et le lecteur adhère à l’histoire. Il y a certes un air de déjà-vu dans ce récit. Sans véritablement se démarquer de l’ensemble des films, romans et bandes dessinées sur le même thème, celui-ci offre un angle nouveau, celui de ceux qui subodorent que tôt ou tard la folie prendra fin et qui se raccrochent à l’idée qu’il demeure essentiel de conserver les traces des exactions pour, ils l’espèrent, obtenir justice.
Le dessin de Pedro J. Colombo est sobre ; ses illustrations rendent l’esprit qui devait régner dans ces lieux. Un mélange de résignation et de calme, chacun évitant de faire quoi que ce soit qui puisse indisposer les bourreaux. Il en va de même pour les couleurs d’Aintzane Landa Chillón qui se présentent essentiellement dans des teintes de gris et de bleu avec de temps à autre des photos sépia et la représentation de la chambre noire éclairée à l’infrarouge. C’est seulement au terme du conflit que les coloris seront variés, sans pour cela être lumineux. Le découpage se montre à l’inverse plutôt audacieux, un peu comme si l’artiste avait souhaité défier le formatage des clichés. Plusieurs vignettes sont d’ailleurs composées d’images empilées dans un ordre plus ou moins aléatoire. Il est intéressant de constater que, par moments, cet effet graphique est transposé dans la composition des planches qui se donnent elles aussi des allures de capharnaüm.
Pour réaliser cet album, les auteurs ont effectué un imposant travail de recherche. En complément au livre, ils proposent un document d’une cinquantaine de pages témoignant du sérieux de leur démarche, mais surtout de ce qui s’est passé dans ce stalag autrichien.
Pourquoi ressasser un passé aujourd'hui révolu ? se demande le premier commentaire. Justement, pour ne pas que cela se renouvelle ! Nous n'avons pas connu la guerre, et nous ne pouvons imaginer qu'elle revienne en Europe. Ce genre de témoignage est là pour nous rappeler que c'est bien ici chez nous que tout cela est arrivé au XXème siècle. Merci aux auteurs pour ce fantastique travail de mémoire !
Mon avis pourrait paraître paradoxal....
La BD est excellente. Le sujet est difficile mais traité avec humanisme, sensibilité et je crois, vérité. Le dessin cadre au scénario, rien à redire.....
C'est le très net parti pris du supplément qui me gène. Salva Rubio, le scénariste écrit : "l'Espagne (d'aujourd'hui) est elle une véritable démocratie ?" Sans commentaires!!!!!!
Et il ne cesse de désigner les bons et les méchants (je ne parle pas des nazis, s'entend!!!!)....
Je n'achète pas une BD pour subir un cours d'histoire, M. Rubio devrait en tenir compte, il est scénariste pas prof.....
Mais je persiste à dire que cette BD est vraiment à lire, le destin de Francisc Boix est tout autant extraordinaire que tragique, et cet ouvrage lui rend un hommage plus que mérité.
Vu le sujet, difficile de dire du mal de cet album.
Ce qui est décrit est atroce ; et pourtant, on ne nous montre pas tout, les auteurs ont la bienséance de nous épargner le plus dur, qui est suggéré, dit mais pas montré.
Ce n'est pas un album de BD divertissant. Le sujet est grave, d'autant plus grave qu'il est vrai, et documenté. De ce point de vue là, le travail des auteurs est remarquable.
Alors d'où vient mon malaise, au moment de dire ce que je pense de cet album ?
Le dessin, s'il n'est pas exempt de tout reproche, contient de beaux moments (graphiquement parlant). Mais, fatalement, le dessinateur a eu du mal à éviter l'écueil de l'indifférenciation des personnages, qui sont tous rasés et habillés du sinistre pyjama.
L'essentiel n'est pas là, mais il s'agit d'une BD, alors il faut bien en tenir compte.
Non, le malaise ne vient pas de la BD en elle-même, mais du sujet. Encore une histoire traitant des camps de concentration et des nazis. C'est terrible à dire, mais le sujet est vu et revu, jusqu'à l'écoeurement, à se demander si certains ne se délectent pas de cette période de l'histoire.
Avant et après cette période, il n'y a jamais eu d'atrocité, semble-t-il. Pour les autres victimes, toutes les autres victimes de toutes les autres périodes, c'est d'une grande injustice. Un peu comme ce dont se plaint (à juste titre, d'ailleurs), François dans cette histoire.
Au final, je ne relirai pas cet album, non pas par ce qu'il manquerait de qualité, pas à cause d'une mauvaise histoire, mais tout simplement parce que je suis né en 1970 et que je ne peux pas me sentir coupable de choses que je n'ai pas vécu. Chaque siècle, chaque époque a eu son lot d'atrocité.
Je préfère me tourner vers ce qui enchante, plutôt que de replonger dans ce qu'il y a de plus horrible en l'homme. Et garder mes indignations pour le temps présent, plutôt que de ressasser un passé aujourd'hui révolu.