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irko Czentović est champion d’échecs. À bord d’un navire partant de New York à destination de l’Argentine, il accepte, à contrecœur, d’affronter un riche passager, puis tout un groupe d’hommes. Parmi ceux-ci, Monsieur B, avocat, se révèle particulièrement doué. Il affirme pourtant ne pas avoir touché à ce jeu depuis 25 ans. Comment diable fait-il pour tenir tête au maître? Lorsqu’il raconte son histoire, le narrateur découvre que cette distraction lui a sauvé la vie, avant de pratiquement la détruire.
David Sala adapte remarquablement la plus célèbre nouvelle de Stefan Zweig. Le lecteur y ressent toute la force du texte publié en 1943, peu après la mort de son auteur. La partie (et la guerre psychologique que se livrent les adversaires), figure la mise en abyme des affrontements opposant le procureur à ses bourreaux lorsqu’il était soumis aux interrogatoires de la Gestapo dans une Autriche occupée. Certes, ce brillant récit n’est pas celui du bédéiste, mais ce dernier a su le transposer, tout en en respectant son essence. Il lui a donné une grande puissance, notamment en faisant une large place aux silences.
Le scénariste signe également les très belles couleurs directes à l’aquarelle Pour trouver ses influences graphiques il faut regarder du côté des personnages un peu raides de Gustave Klimt et de leurs vêtements chargés de motifs floraux. Les décors du paquebot (souvent inspirés de l’Art nouveau et de l’Art déco) rappellent la même époque. De fait, l’ensemble évoque davantage les années 1920 que 1941, date à laquelle se déroule le roman. Le découpage renvoie fréquemment à la grille : cinq fois quatre vignettes, toutes carrées, superposition de cases sur un dessin, etc. Enfin, le carrelage du plancher de la salle où à lieu le duel est lui aussi en damier, mais avec un effet de trois dimensions qui lui donne une allure mouvante et inquiétante.
Une ouverture magistrale, un fianchetto audacieux suivi du sacrifice du fou en G7... Une joute d’anthologie.
Superbe adaptation du roman de Sefan Zweig. Les dessins sont magnifiques. Je connaissais pas Sala mais après la lecture de cet album je suis curieux de connaitre le reste de son travail.
Album grand format. Un cahier final propose des croquis, photos de l'atelier et du scénario manuscrit de l'auteur. C'est moyennement intéressant et j'aurais aimé une préface expliquant le travail d'adaptation. La couverture est très réussie, mettant en avant le dessin de l'auteur et suffisamment intrigante pour donner envie d'ouvrir le livre.
Sur un paquebot partant pour l'Argentine en 1941, le champion du monde d'échec est à bord. Un groupe de passagers le convainc de participer à une partie, à laquelle se joint un mystérieux personnage qui parvient à ébranler le champion. Ce "Docteur B." relate alors son incarcération par les nazis et comment il s'est construit un univers mental totalement dédié aux échecs, jusqu'à fusionner avec sa propre personnalité.
Je suis les publications de David Sala comme illustrateur jeunesse depuis plusieurs années. Ses albums "le coffre enchanté", "folles saison" et "la colère de Banshee" sont magnifiques et j'étais intrigué de voir ce que son style pourrait donner en BD (je n'avais pas accroché à ses précédentes tentatives, notamment sur Nicolas Eymerich Inquisiteur) avec son utilisation des damiers et des juxtapositions d'aplats de motifs sur des dessins en volumes. L'auteur a choisi d'adapter une nouvelle posthume de Stephan Zweig très tournée sur la psychanalyse et la technique concentrationnaire des nazis.
L'album est volumineux mais pourtant très aéré. Beaucoup de planches sont sans bulles et il y a peu de cases par page avec une structure en damier reprenant l'idée du jeu d'échec. On est proche de l'illustration jeunesse par le format et c'est très agréable pour les yeux avec l'utilisation d'aquarelle sur un dessin de type rétro qui colle bien à l'époque. Ses visages sont caricaturaux comme d'habitude chez Sala, avec beaucoup de très gros plans sur les regards assez réussis. Le texte alterne entre quelques bulles et une narration issue de la nouvelle. Ce sont les atmosphères qu'essaye de rendre David Sala et il y réussit bien.
La tension dramatique tourne logiquement autour des parties d'échec (dans la première partie de l'histoire) et l'on est pris un peu comme un thriller avec cette énigme de savoir si le champion d'échec pourra être vaincu et ensuite qui est ce mystérieux personnage aux capacités hors du commun et qui confie n'avoir jamais appris les échecs ?
Dans une seconde partie (la plus intéressante), l'inconnu raconte comment il a été incarcéré par les nazis et a bâti sa survie psychologique en étudiant les grandes parties d'échec et en se confrontant mentalement à lui-même dans des parties interminables, devenant à la fois un parfait stratège et basculant dans la folie. Là, l'auteur parvient à rendre palpables graphiquement les méandres psychiques dans lesquels est enfermé le personnage tout en se faisant plaisir. Ce qui est intéressant dans cet album (outre un scénario parfaitement maîtrisé et très lisible évitant de tomber dans le conceptuel) c'est l'interaction entre l'univers visuel de David Sala et celui du jeu d'échec. L'on comprend pourquoi il a choisi ce sujet et la pertinence de ses illustrations.
Sa technique garantie 100% sans numérique a quelques ratés du fait de l'utilisation de l'aquarelle sur des crayonnés mais c'est l'essence de cette peinture et cela apporte un côté naturel et organique que j'apprécie.
Le joueur d'échec est contre toute attente une BD relativement grand public qui a le mérite de faire découvrir la nouvelle de Zweig et qui allie critique du système nazi et réflexion sur la psychologie du joueur d'échec. Il permet surtout à ceux qui ne le connaissaient pas de découvrir l'illustrateur David Sala et j'invite vivement ceux qui auront apprécié l'album à acheter ses ouvrages d'illustration jeunesse qui sont de véritables joyaux.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/10/le-joueur-dechec
Bonne adaptation d'un des chefs d'oeuvre de Sefan Zweig.
Chaque case est une aquarelle.
La mise en images des pensées du mystérieux M. B sont bien réalisées.