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oman inachevé d’Albert Camus sauvé des décombres sinistres d’une Facel-Vega devenue folle, Le premier homme n’est finalement publié en l’état qu’en 1994. Fragmentaire, le texte revient sur l’aventure coloniale française en Algérie. Autant historique, idéologique, qu’autobiographique, toute cette ébauche porte la marque du grand écrivain. Vu le propos, Jacques Ferrandez ne pouvait pas ne pas en proposer une adaptation en bande dessinée.
Depuis L’Hôte et L’Étranger, l’association entre le créateur des Carnets d’Orient et l’auteur de La Peste ne fait plus aucun doute. Les deux artistes partagent des souvenirs identiques d’Alger la Belle et le même dégoût des « événements » de la guerre d’indépendance. Entre amour et regret, ils essayent de comprendre et d’expliquer ces hommes et ces femmes, peu importe qu’ils fussent colons ou indigènes, qui n’arrivèrent jamais à vivre côte à côte sur un pied d’égalité.
Comme à son habitude, Ferrandez présente une version dessinée ultra-respectueuse. Le matériel de départ est lacunaire ? La chronologie des scènes anarchique ? Les récitatifs sans forme ? Peu importe, sa narration sautera d’un chapitre à l’autre suivant le même chemin. Ce qui est perdu en cohérence est contrebalancé par une série de moments forts en émotion et par les nombreux instants de réflexions (ses origines, la famille, le droit à la terre, etc.). Contre toute attente, la lecture ne souffre absolument pas de cette construction. Guidé par les pinceaux précis et les couleurs toujours aussi lumineuses du dessinateur, l’œil est totalement immergé dans cette histoire de gens simples perdus au sommet d’un continent trop gigantesque.
La force d’une œuvre malheureusement restée embryonnaire, la beauté des illustrations d’un bédéiste en pleine possession de ses moyens, Le premier homme ne laissera personne de marbre.
Jacques Ferrandez est devenu au fil du temps le spécialiste de l’histoire de l’Algérie sous domination coloniale française pendant plus de 150 ans avant de connaître l’indépendance pour son plus grand bonheur. Il s’attaque à une grande œuvre littéraire de Camus qui était resté inachevé à sa mort assez brutale lors d’un tragique accident de voiture.
On plonge dans une Algérie où les français et les arabes cohabitaient presque de manière assez pacifique pour faire tourner l’économie locale. Il ne faudra pas omettre le fait qu’ils ne vivaient pas sur un même pied d’égalité ce qui peut expliquer bien des choses. Graphiquement, c’est toujours aussi beau avec des couleurs bien chaudes comme pour rappeler le climat et les paysages ensoleillés. On ressent avec nostalgie tout le quotidien de cette Algérie aujourd’hui disparue.
Il s’agit en l’occurrence de raconter l'enfance de Jacques Cormery inspirée par celle du jeune Camus puis de partir plus tard à la recherche du père. Le défi était plutôt de taille car il fallait adapter en bande dessinée une œuvre littéraire assez majeure qui est enseigné dans toutes les universités consacrées aux grands auteurs du XXème siècle. Il a su conserver l’esprit de l’auteur en illustrant le roman. Bien écrit et bien dessiné.
A noter une grosse erreur de datation. Le héros ne peut avoir 40 ans en 1957 alors qu’il n’avait qu’un an en 1914. Il y a parfois de grosses incohérences qu’on relève et qui peuvent pourtant passer assez inaperçu.
Ceux qui sont nés à Alger et qui ont dû quitter ce pays suite à la guerre et au terrorisme pourront s’y retrouver. Les autres apprécieront sans doute un certain humanisme dans l’appréhension des situations malgré quelques faiblesses.