A
près avoir traversé la France dans Le sentier des neiges, Florentin, le narrateur, Blanca, une vieille dame, la jolie Pauline et Arpin, un blessé de guerre, montent à bord d’un paquebot à destination de la Nouvelle-Calédonie. Dès leur arrivée, ils croisent James Jacques, un franco-australien, éleveur prospère qui demeure avec sa fille Marie. Le propriétaire terrien adopte le clan et l’aide à s’installer. Sur fond de tensions politiques dans un pays où règne une forme d’apartheid, les destins se lient et se délient. Tout est chaud : le climat, les tempéraments (l’esprit du bagnard n’est jamais bien loin), sans oublier les interactions entre les autochtones et les colons. Alors il ne faut pas s’étonner qu’éclatent les incendies.
Le scénario explore un univers méconnu, celui de la colonisation des terres australes par les Européens. Mais fondamentalement, en Afrique, en Amérique ou en Océanie, l’histoire se répète. Clivage, ségrégation plus ou moins officielle, mais aussi cohabitation tranquille et discrètes amours interraciales. En cela, les protagonistes constituent un microcosme au sein de ce monde. Au travers les aventures (et surtout les mésaventures) des membres des deux familles, s’affirme une organisation dans ce qu’elle a de meilleur et de pire. Bien que situé dans une région qui n’existe pas vraiment, le récit est pleinement ancré dans la réalité. En fin de volume, le commentaire d’Isabelle Merle, historienne au CNRS, propose d’ailleurs une intéressante mise en contexte qui confirme l’ancrage social et historique de la chronique.
Le dessin est exceptionnel. Le trait, très mince, ressemble à un crayonné particulièrement élaboré, tellement qu’il vivrait facilement seul, mais les couleurs composent pratiquement un niveau de lecture supplémentaire. Chaque planche a une dominante ; sans qu’il s’agisse d’une contrainte absolue, les scènes de violence tendent à être teintées de rouge, les séquences extérieures de jaune ou de vert, les intérieurs, qui donnent lieu à des discussions sombres, s’habillent de bruns foncés et de gris. L’artiste est conscient de la force de ses illustrations et il n’hésite pas à les laisser s’exprimer. À plusieurs reprises, des pages complètes sont présentées sans aucun dialogue, invitant ainsi le bédéphile à prendre le temps de décrypter les images. Les paysages sont magnifiques, tant les forêts luxuriantes que les déserts. Idem pour les moments d’agressivité présentés avec retenue, presque avec grâce. Le pinailleur pourrait reprocher le manque d’expressivité de certains visages, mais il n’aura vraiment rien d’autre à redire sur cet album.
Anthony Pastor se rend aux antipodes pour sonder les âmes des femmes, des hommes, des Occidentaux, des Aborigènes, des lâches et des purs. L’exercice est réussi avec brio.
Autant je n’avais pas trop apprécié Le Sentier des Reines, autant cette suite m’a paru de bien meilleure qualité. On quitte le froid des chemins de montagne savoyard pour aller dans la moiteur chaude et humide de la Nouvelle-Calédonie. Les dessins sont d'ailleurs magnifiques.
Nous sommes en effet dans les années 1920 et l’heure est à l’exploitation des terres des canaques en pleine période de colonisation. Il est clair que si on les avait laissés tranquille, cette île serait prospère et assez riche. L’autodétermination est pour bientôt et on verra le résultat dans le futur.
C’est toujours intéressant de découvrir des pans oubliés de notre histoire au travers ces territoires si lointain. Ces 4 savoyards donnent même une note assez exotique à l’ensemble.
Une mention spéciale pour la vieille Blanca qui ne vieillie toujours pas même 20 ans après. Certes, elle conserve ses rides mais bon.
La vallée du diable clos un diptyque assez inégal mais qui promet tout de même de bons moments assez romantiques.
C'est toujours la même histoire, quand on aime un dyptique, on souhaiterait qu'il s'étale sur trois tomes au moins, pour prolonger le plaisir. Quand on aime pas, on se dit qu'un one shot aurait suffit.
Pour ma part, je me suis vraiment régalé et j'aurais vraiment apprécié en savoir plus sur les émigrés français en nouvelle calédonie au début XXeme. Combien ils étaient, comment ils survivaient au voyage, les conditions d'accueil à l'arrivée, bref, j'aurais vraiment intercalé un tome entre le sentier des reines et la vallée du diable. Le dessin est toujours vraiment réussi, très expressif, même si les paysages sont moins grandioses que dans le tome 1 (l'auteur connaît mieux les paysages de montagne que la jungle de nouvelle calédonie, c'est bien normal). Les personnages de l'histoire ne sont pas trop caricaturaux, et on s'intéresse forcément à leur devenir, et la tension monte crescendo avant le dénouement final. Le rythme est donc bien tenu.
Une BD que je recommande sans hésiter !
Le dessin, finement travaillé et bien documenté, rehaussé de superbes couleurs, crée une atmosphère naturaliste qui retranscrit idéalement la Nouvelle-Calédonie de 1925.
En revanche, l’ayant lu comme un one-shot, j’ai vraiment eu du mal à m’immerger dans l’histoire qui, semble-t-il, s’est mise en place précédemment dans "Le sentier des reines". Je n’ai pas davantage accroché aux personnages principaux ni compris les enjeux qui les opposent. Tout se déroule sur un temps très bref et les différents contextes (tribaux, colonialistes, géographiques, sociaux etc…) ne sont jamais décrits.
Les personnages secondaires, pourtant intéressants, ne sont pas non plus approfondis et sortent de l’histoire sans que l’on sache ce qu’il advient d’eux…
C’est un bel album, mais ce style d’écriture ne se focalisant que sur une courte intrigue en faisant abstraction de tout le reste est quand même assez frustrant. Dommage.
Preuve du talent de Pastor, dès les premières pages le charme opère, on est immédiatement transporté dans cet archipel fraîchement colonisé du Pacifique qu'est la Nouvelle-Calédonie de 1920. Il y a un je-ne-sais-quoi de La Leçon de Piano de Campion dans la façon de dépeindre cette immersion de petits gens civilisés en pleine cambrousse inhospitalière, loin du bruit et de la fureur des villes industrielles d'alors mais aussi loin de la communauté et de la société qui leur ressemble (les villages de Savoie pour notre quatuor).
Le malaise est prégnant, à travers le personnage de Pauline notamment, qui transmet à merveille cette incapacité de se sentir chez soi sur une terre volée, dans un monde qui n'est pas le notre. Alors que tout concorde à faire croire que cela pourrait être un petit bout de paradis , la plage de sable fin, la faune et la flore exotique, des autochtones sympathiques et corvéables, un style de vie simple mais confortable pour les colons (pensée émue du Coup de Torchon de Tavernier), ce microcosme va progressivement s'auto-détruire et transformer l'histoire en véritable tragédie.
Le dessin -numérique qui n'en a pas l'air à base de hachures "Bic"- de Pastor sert avec virtuosité ce beau récit d'aventure historique, des cases sont sublimes (la poursuite sous la pluie, les paysages de forêts tropicales), les couleurs chatoyantes, l'atmosphère ilienne superbement retranscrite.
Une belle lecture qui m'invite à me précipiter sur l'opus antérieur qui peut aussi se suffire à lui-même, Le Sentier des Reines.
Cet album respire la réalité d'une vie dans un monde qui n'est pas le mien mais qui pourrait être une réalité pour chacun de nous. Cet album m'a vraiment surpris. Un fait divers qui est beau, triste, réel, cruel, violent... Tout se déroule comme on l'attend pas. C'est la vie! Je reste un peu déçu du crayonnage qui s'estompe mais c'est très beau. Bravo aux auteurs et merci pour cette belle lecture.