E
t si une simple lettre changeait le destin d'un mulet. Intrigué par une étrange missive, le jeune Mulo entame un voyage sur une île perdue en Bretagne, qui va le ramener sur les traces de son passé. Au risque d'aller déterrer des secrets inavouables...
Un nouvel album animalier typé polar, qui plus est publié par Dargaud, ouvre inévitablement la voie à des comparaisons avec son illustre prédécesseur, Blacksad. Autant évacuer le sujet, sorti de ces constatations, Mulo est en tout point différent. Bretons tous les deux, les auteurs sont partis d'un classique du folklore local pour créer leur série. « La jument de Michao », puisque c'est de cette chanson qu'il s'agit, leur a fourni, à lui et son comparse, le casting de leur projet : un mulet et ses trois adversaires, un loup, un renard et une belette !
Plus habitué aux titres jeunesse comme Trappeurs de rien, PoG a imaginé une histoire à la fois sombre et moderne traitant de la quête d'identité d'un adolescent courageux, mais perturbé et hanté par ses démons. L'originalité n'est pas à chercher dans la trame ou son développement, mais bien dans la narration. Le scénariste aborde son récit par un séquencement nerveux, le découpant en brefs chapitres, qui par moment rendent le déroulement trop rapide. Introduits par des proverbes du cru, ils sonnent comme autant de krabanad* sur le museau de son héros. Mais le mulet a la tête dure et donne autant de coups qu'il en reçoit. Pas épargné par les révélations dans une enquête semée d'embûches, il croise la route de personnages qui, malgré leurs espèces peu engageantes, s'avèreront d'une aide précieuse. Ancrant son univers dans une région qui lui est chère, l'auteur n'en rajoute pas pour autant sur le climat ou les expressions. Il parvient à créer une atmosphère lourde et brumeuse qui colle parfaitement au ton.
Visuellement aussi Mulo possède une identité propre. Exit le noir et blanc à tendance réaliste du Tueur du bois mesdames, le trait a évolué et le dessinateur s'est investi dans la colorisation. À première vue, le découpage en cinq ou six cases de quasiment toutes ses planches peut surprendre et amener à penser à un travail à l'économie. Il n'en est rien et ce choix permet au dessin de respirer, faisant la part belle à des compositions étudiées. Truffées de détails, de clins d'œil et d'informations, elles invitent à s'y attarder pour en saisir toute la pertinence. En plus de bien installer les ambiances moroses ou inquiétantes, Cédrick Le Bihan fait preuve d'inventivité sur de nombreux cadrages et plans, notamment lorsqu'il symbolise la rage qui s'empare de Mulo, lors des flashbacks ou encore sur la vue à travers le grillage de la conserverie. L'artiste démontre également une réelle maîtrise dans son utilisation de la couleur avec de beaux effets de lumière et un traitement légèrement suranné au rendu intéressant.
Crachin Breton pose les bases d'un héros dont le potentiel est flagrant. Un second acte - lui aussi auto-conclusif - doit suivre rapidement et, à n'en pas douter, gommera les légers défauts de ce qui constitue tout de même une très bonne entrée en matière.
* coup de griffe/de poing en breton
L’effet de remplacer des hommes par des animaux n’est pas nouveau dans la bande dessinée : c’est le moins qu’on puisse dire. Nous aurons droit cette fois-ci à une tête de mulot. Pour autant, on ne pourra pas dire qu’on fait bêtement du surplace. C’est un récit assez dynamique ayant pour cadre la Bretagne et une enquête policière. L’âne taiseux et entêté va s’obstiner dans sa quête des origines et de la vérité.
Sous un graphisme plutôt enfantin, nous aurons droit à un véritable polar noir. Il n’est pas sûr que cette œuvre puisse trouver son public car les codes et l’assemblage semblent faussés. C’est un travail tout de même assez honnête avec une fin étonnante. Bref, on évitera les âneries avec ce polar animalier.