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uite et fin de la lutte de John Lewis et les siens pour leurs droits.
Rue de Sèvres met un terme à sa fresque de plus de 550 planches, avec en point d'orgue la marche de Selma et ses quatre-vingt-six kilomètres. Mais avant de pouvoir parcourir cette distance et arriver à Montgomery, capitale de l'état de l'Alabama et fief du gouverneur George Wallace - tristement célèbre ségrégationniste -, John Lewis et ses compagnons subiront un nombre incalculable d'épreuves, de brimades, de violences. De l'incendie criminel du 15 septembre 1963 qui ravagea l'église baptiste de Birmingham et coûta la vie à quatre fillettes à la cérémonie du Voting Rights Act of 1965 (ratification de la loi sur le droit de vote des Noirs du 6 août 1965).
Entre ces deux dates, s'accumuleront différentes batailles avec toujours le même schéma : manifestation pacifique, arrestations musclées et abusives sous l'égide du shérif Clark, prison, libération, concertation et nouvelle action. Jusqu'au « Bloody Sunday » de décembre 1964, à Selma déjà, qui déboucha sur le discours - longtemps attendu et finalement à la hauteur des enjeux - du président Johnson, le 15 mars 1965. Si le lecteur retrouvera des noms familiers de personnages passés à la postérité, Malcom X et Martin Luther King en tête, John Lewis aidé de son conseiller Andrew Aydin prouvent que cette lutte, en plus d'être de longue haleine, ne tenait pas seulement grâce à l'initiative des héritiers de Rosa Parks (dont le combat commença dix ans plus tôt). Le nombre d'organisations derrière le civil rights movement, les étudiants et leur Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) notamment mais aussi le Southern Christian Leadership Conference (SCLC), montrent à quel point la mobilisation fût générale. Pendant les deux années relatées, les scénaristes mettent en lumière l’obstination et la grande abnégation déployées par les militants, qu'ils soient de l'ombre ou mis en avant, qui éclaboussent cette histoire. Parmi tous ces évènements, vécus et relatés du point de vue du membre du congrès américain, le voyage en Afrique, les échanges avec les deux figures de proue de cette action marquent autant que les discordances au sein même du rassemblement. Jamais vraiment unis, le SCLC et le SNCC sont montrés sans complaisance comme les actions du révérend King, qui ne font pas toujours l’unanimité au sein de la communauté. Ainsi, si l'entame peut paraître à charge, ce sentiment est dissipé au fur et à mesure que les pages défilent, les travers des deux camps étant mis en lumière sans filtre. Peut-être la plus grande qualité de ce récit : ne jamais idéaliser les protagonistes, quelle que soit leur couleur de peau.
Une force et une implication mais aussi une humilité et un grand courage que les dessins de Nate Powell mettent en valeur avec justesse. À la manière de ce qu'il proposait dans Le silence de nos amis, son découpage souligne et illustre la tension des confrontations comme la dramaturgie de certaines discussions. S'appuyant encore sur un noir et blanc puissant et maîtrisé, l'auteur de Swallow me whole, malgré quelques relâchements qui rendent parfois difficile la distinction entre les visages, livre une prestation très aboutie. Jamais dans l'excès, particulièrement lors des scènes de brutalités, il parvient à appuyer les propos et donner leur pleine puissance à chaque passage marquant. Un travail propre, tout en retenue.
Conclusion à la hauteur de l'enjeu, ce dernier tome clôt de manière magistrale une trilogie dense et impressionnante. Sans jamais s'écarter de leur fil rouge, les auteurs mettent en avant un combat de tous les instants qui résonne encore aujourd'hui et prouve que rien n'est terminé. Une belle leçon d'engagement et de vie, mise en image avec force et narrée avec savoir-faire.
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