2004. Lewis Trondheim met un terme aux Fantastiques aventures de Lapinot dans La vie comme elle vient. Cette fin semblait définitive puisque le héros trépassait au terme d’une soirée agitée, riche en rebondissements. Boum badaboum, coup de théâtre : plus de dix ans après, le célèbre lapin revient dans Un monde un peu meilleur et il a l’air bien vivant !
Opération commerciale pour renflouer une maison d’édition fragile ? Pied de nez ambigu et sarcastique au microcosme des fanatiques du 9è Art (l’album cartonné de 48 pages couleurs sort à l’Association et est décliné en trois tirages distincts) ? Tentative à peine masquée d’échapper à la malédiction de l’auteur fatigué telle que décrite dans Désœuvré ? Ou un mélange de toutes ces raisons ? Les origines de cette entreprise resteront évidemment et heureusement inconnues. Peu importe en fait, l’artiste règne en maître et le lecteur y gagne un chouette bouquin on ne peut plus inattendu.
Et l’histoire dans tout ça ? Pour faire simple, Trondheim fait du Lapinot contemporain « classique » et il n’a pas perdu la main. Dès la première planche, la première case même, l’immersion est totale et c’est comme si le volume précédent ne datait que de trois mois à peine, ainsi que la chronologie interne semble le suggérer. La bande de copains avec un Richard toujours au top, un mystérieux quidam qui vient semer le doute, des pilules expérimentales aux effets secondaires étonnants, pas mal de dialogues savoureux et beaucoup de questionnements moraux. La formule n’a pas changé et est toujours aussi truculente. Par contre, malgré tout le talent du Grand Prix Angoulême 2006, l’ensemble laisse un peu pantois par moments. Le canevas rappelle beaucoup celui d’Amour & Intérim, les échanges, quoique piquants, s’avèrent un peu forcés et les situations guère emballantes au final. Les quinze dernières années n'ont pas l’air d'avoir touché la sensibilité de l’auteur. Résultat, tel le énième tome d’une série devenue patrimoniale à l'usure, cette nouveauté fait sourire (et pas qu’un peu), tout en manquant de réelle surprise.
La situation est similaire au niveau des illustrations. Tel les travaux de Frank Margerin ou de Willy Lambil, le trait se montre quasiment identique à celui des volumes précédents, presque figé dans le passé. Rien de bien grave, surtout - et c’est le cas ici - quand tous les éléments graphiques sont parfaitement en place et maîtrisés. Il faut aussi compter sur l’excellente colorisation de Brigitte Findakly qui habille plus qu’agréablement ces tribulations urbaines.
Ligne supplémentaire dans une bibliographie déjà sans fin, petit caprice perso ou énigmatique expérimentation oubapesque, Un monde un peu meilleur a ce qu’il faut pour satisfaire tous les publics. Allez, le prochain tome dans vingt ans, juste pour vérifier si la recette marche encore ?
Les nouvelles aventures de Lapinot ne sont guère trépidantes même si elles restent pour le moins assez rocambolesques. J’ai toujours aimé ces auteurs qui ont l’art de faire un récit avec presque rien. C’est une chronique typiquement urbaine sur une déambulation de fête amicale en rencontre sur fond d’accrochage de voiture en stationnement.
Pour autant, je reconnais qu’il y a des dialogues assez savoureux et qu’on ne s’ennuie pas. C’est une lecture typiquement divertissante mais qui n’apportera rien d’autre sauf si on arrive à suivre minutieusement cet effet papillon partant d'un bon sentiment. On peut vite oublier le propos tant il apparaît insignifiant. Certes, il s'agit de refaire le monde avec la parlotte. Dans les actes, c'est autre chose.
Il faut également accepter l'idée qu'un héros peut ressusciter avec pour guise d'explication les univers parallèles. Oui, il va falloir avaler des couleuvres et en silence. C'est pour mieux apprécier la suite.
Au niveau graphique, je n'ai rien à ajouter car on retrouve le même trait qu'il y a déjà 13 ans. L'immersion de cet univers est totale dès les premières planches. Le talent est là.
Un bon héros est un héros mort. Et ressuscité bien sûr. Ou bien encore vivant dans un monde parallèle, aussi. En fait ce n'est pas très grave, d'ailleurs Trondheim expédie toute justification en deux lignes de dialogues, avant de reprendre les "Aventures de Lapinot" (l'un des personnages les plus emblématiques, à mon humble avis, de la BD contemporaine...) plus ou moins là où on en était resté... il y a 13 ans quand même. Et en 13 ans, beaucoup de choses ont changé, pas forcément en bien : on a les terroristes islamistes, on a les applications de rencontres, on a une société de plus en plus mercantile et ignoble (bonjour les laboratoires pharmaceutiques !). Et en plus Nadia a largué Lapinot, et Thierry a chopé le cancer. Bref tout cela fait un scénario roboratif, qui passe très vite d'un gag absurde à une critique virulente des médias comme des anti-médias. Trop vite ? Je ne trouve pas, car on rit beaucoup, beaucoup au cours de la lecture de ces 48 pages presque parfaites : l'humour de Trondheim a retrouvé son efficacité décalée - alors que son travail récent pouvait nous faire croire à un peu d'usure - et son dessin reste toujours aussi magnifique, aussi faussement simple que dramatiquement juste. La bonne nouvelle de "Un monde un peu meilleur", c'est qu'on peut revenir d'entre les morts en pleine forme (... mais quand même, n'essayez pas ça à la maison...).
Alors qu'il pensait faire sa B-A du jour en laissant un petit mot d'excuse accompagné de son numéro de téléphone sous l'essuie-glace du pare-brise d'une voiture qui venait d'être amochée par sa faute, LAPINOT déclenche, sans le savoir, un "effet papillon" qui va aboutir à un enchaînement de péripéties de plus en plus catastrophiques ...
On prend les mêmes et on recommence ! Dessin minimaliste ma foi bien sympathique, dialogues drolatiques, sens de la répartie, péripéties rocambolesques, personnages hauts-en-couleurs, humour cocasse ... Treize ans après le dernier album, LAPINOT n'a pas pris une ride, et est même bien plus vivant que jamais !
Bien content de retrouver notre héros ainsi que Nadia, Richard, Titi et toute la clique ... En route pour de nouvelles aventures !