A
u cœur de la Vendée, quelques années après l’accession au pouvoir de Napoléon III, Benjamin Clémenceau pétrit l’éducation de son fils Georges avec les valeurs qui ont fait ses combats : la démocratie, le patriotisme ou la justice sociale. Il prône Robespierre et honnit Danton. Lorsque le père sera arrêté et déporté en Algérie pour avoir créé la Commission démocratique nantaise et avoir multiplié les écrits contre l’Empereur, le fils sera marqué à vie et commencera un long chemin chaotique, mais construit sur des valeurs immuables.
Pour ce 22ème tome de la série Ils ont fait l’histoire, le scénariste Renaud Dély (journaliste ayant écrit des albums sur les deux derniers présidents de la République française, entre autres) s’est adjoint les services du dessinateur italien Stefano Carloni, encore débutant dans le neuvième Art, et de l’historien et universitaire Jean Garrigues. De cette association naît cette biographie politique de celui que l’on surnommera le Tigre. Il n’est point fait mention ici de sa vie familiale, de son goût pour les femmes, de sa passion pour la littérature et les arts ou de son amitié avec Claude Monet. Tout se passe entre les rédactions des journaux qu’il a dirigés, ou auxquels il a collaboré, et les deux hémicycles parlementaires.
Le récit suit ainsi ce médecin de formation, pris dans la tourmente de la Commune, qui deviendra maire de Montmartre, puis député, sénateur, Président du Conseil et, enfin, le sauveur appelé à la rescousse en 1917 pour l’achèvement du premier conflit mondial. Place ensuite à son parcours engagé qui l’opposera à Jules Ferry et à Jean Jaurès, au cours duquel il défendra, après l’avoir voué aux gémonies, Alfred Dreyfus au côté d’Émile Zola. Outre ses prises de position contre l’Église et le colonialisme, le lecteur est témoin des répressions musclées de mouvements ouvriers, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, comme de sa détermination guerrière et de son aversion envers le pacifisme et la trahison de la nation comme ultimes expressions de son patriotisme.
Clémenceau était un homme de pouvoir aussi complexe que combatif. Le scénariste a fait le choix de représenter multiples situations ayant été autant de pierres angulaires de son itinéraire, étayées par des sources historiques solides (Jean Garrigues est l’un de ses biographes), telles que ses discours, sa correspondance ou ses nombreux articles journalistiques.
Le reproche que l’on pourrait émettre concerne l’aspect didactique et synthétique de l’approche, demandant de réelles connaissances pour comprendre et apprécier, ainsi qu’une certaine sécheresse narrative laissant peu de respiration. Mais ce qu’on retient avant tout c’est un art de la mise en scène, parfaitement soutenu par un dessin irréprochable et une réflexion évitant les clichés. Il est question de raison d’Etat, d’intégrité des élus, d’affaires montées de toutes pièces, de positionnement entre intérêts économiques et volonté sociale, du rôle des syndicats et des moyens pour convaincre un électorat. Toute ressemblance avec des épisodes politiques récents est nécessairement fortuite.
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