V
iolette est libre, insoumise, têtue, impulsive et autonome… mais pas vraiment tendre. Vivant dans une forêt du sud de la Belgique, elle se nourrit essentiellement du fruit de la chasse, de la pêche et de la cueillette. La sauvageonne est fort jolie; lorsqu’elle passe par le village, elle excite la convoitise des hommes avec qui elle aime faire la fête et s’enivrer. Elle irrite cependant les bonnes gens en général et les femmes en particulier. Plusieurs sont cocues et un peu jalouses de celle qui se permet tout et qui ne rend de comptes à personne et certainement pas à Dieu.
S’inscrivant vers la fin du XIXe, l’histoire, signée Gérard Dewamme, aborde des thèmes qui rappellent plutôt les années 1970 ou 1980, dates de la sortie des livres. Il y est question d’émancipation féminine, de libéralisation des mœurs, du poids de la religion et de la tradition. Ce premier tome d’une intégrale qui en comptera trois est composé d’une dizaine de chapitres relativement courts (correspondant aux albums Tendre Violette, Malmaison et L’Alsacien). Le bédéphile devine que lors de leur première parution dans le magazine (À suivre), l'amateur recevait de temps à autre des nouvelles de l’héroïne; mais lorsqu’il les découvre d’un seul coup, il déplore que le fil conducteur ne soit pas suffisamment solide et que l'ensemble ait l'allure d'un collage.
Jean-Claude Servais n’avait que 22 ans lorsqu’il a produit les premières pages de cette série. Avec son trait hyper réaliste et son encrage très fin, il illustre, avec grâce et dextérité, les personnages, les animaux, la nature et les bâtiments. Les plans et la composition sont variés; à l’occasion un élément sort de son cadre ou des cases s’empilent pour multiplier les points de vue sur une action donnée. Bien que ce qui ressort de la lecture soit la sensualité de la protagoniste, les créateurs ont fait le choix de la traiter avec beaucoup de retenue. Un sein à l’occasion; parfois, mais rarement, elle est complètement nue (cela dit, le mamelon pointe presque systématiquement au travers du vêtement). Ils auraient certes pu aller bien plus loin (Manara, Crepax et quelques autres ont pavé la voie), mais, à la façon du cinéaste Éric Rohmer, ils choisissent de suggérer, avant de détourner le regard.
D’abord présenté en noir et blanc, puis colorisé, Tendre Violette retrouve ici son état premier. Par moment, le lecteur a pourtant l’impression que l’illustrateur avait en tête que les images soient mises en couleur. Il note, par exemple, que des reflets ou des rayons de soleil n’ont pas l’impact attendu lorsqu'ils sont présentés en monochromie.
Le travail est soigné : dos toilé, papier épais. En fin d’ouvrage, un commentaire de Dominique Bilion apporte certaines précisions. Alors que le lieu exact des aventures n’est pas indiqué dans le récit, il situe les événements dans la région de Gaume, tout en révélant que l’artiste n’a pas hésité pas à emprunter certains décors ailleurs dans le plat pays et en France. Son analyse souligne que dans cette première œuvre de l’auteur de La mémoire des arbres se trouve en creux la plupart des sujets qu’il développera au cours des décennies suivantes. Le supplément comporte par ailleurs de nombreuses illustrations dont les sources ne sont malheureusement pas précisées.
Une belle publication en noir et blanc pour apprécier le talent d’un grand du neuvième Art.
Poster un avis sur cet album