A
près son enlèvement et les tortures qu'elle a subies, Sasha Bordeaux, la Reine Noire de Checkmate, reprend rapidement du service. Ce n'est ni du goût de son fou, Jessica Midnight, ni de celui du Roi Blanc, Mister Terrific. Mais la Reine Noire est bien décidée à faire la lumière sur le piège dans lequel elle et son équipe sont tombées. Surtout qu'elle est convaincu de l'implication d'Amanda Waller, la Reine Blanche, et souhaite à tout prix découvrir ce que l'ex-patronne de la Suicide Squad prépare en sous-main. La partie va enfin commencer !
Cinq mois après Le jeu des rois, Urban Comics publie La chute du mur conclusion de Checkmate, avec Greg Rucka en principal maître d'œuvre. Série de super-héros axée sur l'agence éponyme, elle constitue un tour d'horizon presque complet sur les organisations créées au fil des ans par le mastodonte D.C. , en plus de développer un contexte riche, fait d'imbrications et de jeux de pouvoirs bien à elle. Mais que les néophytes se rassurent, ces deux tomes se lisent sans véritable pré-requis, même si un vernis sur la Suicide Squad, Les gardiens du Globe ou les Outsiders sera appréciable pour mesurer le travail des scénaristes, l'ensemble reste (très) accessible à tout amateur de comics. Greg Rucka, car il s'agit principalement de lui, a choisi de s'inscrire dans la continuité des events marquants de l'éditeur américain. Ainsi, Checkmate vient se placer directement à la suite d'Infinite Crisis/52 et intègre les faits s'y déroulant. Le lecteur découvre ainsi une agence multinationale sous l'égide du conseil de sécurité de l'O.N.U. qui se relève d'une manipulation et a revu son fonctionnement. Basé sur un échiquier, le schéma possède ses règles ; Les Rois et Reines décident des actions à entreprendre, conseillés par leur Fou et les Cavaliers exécutent. Le parti pris du scénariste est de centrer essentiellement l'intrigue sur Sasha Bordeaux (que les plus fidèles lecteurs de Batman reconnaîtront), qui a vécu le traumatisme de la trahison sous le grade de Cavalier Noir avant d'être promue à leur tête. Les évènements présentés dans le premier tome, en plus de planter le décor avec les forces en présence, l'ont conduite à considérer la structure prête une nouvelle fois à basculer du mauvais côté sous l'influence d'Amanda Waller.
Ce second volume est découpé en quatre grandes parties pour lesquelles Greg Rucka se voit accompagné par Eric Trautmann sur l'essentiel. La première verra la conclusion des manigances de l'ancienne responsable de la Force X, la deuxième offre une digression sur le nouveau fou, Joséphine Tautin, et développe toute une thématique autour de l'héroïne française « Mademoiselle Marie », vient ensuite Roques et le retour du meilleur ennemi, Kobra et enfin Chimère dont Bruce Jones signe seul le scénario.
Le graphisme passe entre les mains expertes d'artistes comme Joe Prado (Aquaman), Joe Bennett (Supreme, avec Alan Moore) ou Manuel Garcia (La terre des vampires) pour les dessins, Steve Bird et Jack Jadson à l'encrage et Santiago Arcas à la colorisation. Même s'ils possèdent chacun leur style et que les différentes associations entraînent des variations, le résultat est toujours de qualité avec une belle unité, le seul bémol concerne le premier chapitre, un peu lisse et moins détaillé par rapport au reste de l'album.
Mais cette série se distingue avant tout par son propos. Avec méthode, l'auteur de Lazarus parvient à développer un canevas trouble où chaque protagoniste possède ses armes, ses alliés et son but inavoué. Mais au-delà des luttes d'influence, il donne toute la place nécessaire à la psychologie de ses personnages pour rendre crédibles leurs actes ou se ménager des pistes pour des rebondissements. Le résultat est immédiat : plaisant, immersif et ingénieux, son récit tire plus vers le thriller géopolitique que les aventures habituellement en vigueur chez les super-héros. Celles-ci sont évidemment présentes et offrent toute l'action attendue mais elles sont utilisées en arrière-plan, comme cadre, à la limite de l'accessoire tant la place de la politique interne - entre coups fourrés et coups foireux - est importante.
Les auteurs concluent avec brio l'intrigue commencée dans le précédent recueil avant de proposer un arc moins central mais aux qualités indéniables, qui donne un peu d'ampleur à un nouveau méta-humain. Enfin, la troisième leur permet de revenir à leur fil rouge en opposant une dernière fois l'organisation à son ennemi le plus sérieux. Du grand art, carré, précis, terriblement efficace. Le dernier acte, même s'il apparaît accessoire, permet à Bruce Jones de montrer qu'il est tout aussi à l'aise avec l'univers D.C. et mèner une histoire avec ce qu'il faut de combats, de tension et de finesse pour tenir en haleine jusqu'au bout.
La publication de Checkmate s'est terminée outre-atlantique il y a à peu près dix ans et force est de constater que ce récit n'a pas pris une ride. Accessible, bien écrite et terminée en deux albums, il serait dommage de passer à côté.
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