A
près les sciences (à travers les époux Curie et Eusapia Palladino) et avant les Arts Platisques (avec Grünewald) place à la littérature et Victor Hugo lors de son exil sur l'île anglo-normande. Lou n'a pas vraiment le temps de soutenir son ami Nassim en mauvaise posture depuis le précédent acte, qu'elle doit gérer de nouveaux fantômes et leurs soucis. Mais si tout était finalement lié ?
Si, en remerciements de l'album, Carole Martinez s'excuse de sa « lenteur » auprès de sa dessinatrice, la lecture des quatre-vingt-quinze planches suffit amplement à lui pardonner l'attente un peu plus longue. Après deux tomes déjà envoûtants et prenants, la romancière (Le cœur cousu, La Terre qui penche chez Gallimard) démontre une nouvelle fois une plume singulière. Avec talent, elle lie l'imaginaire au réel, la poésie, le fantastique à l'émotion par une intrigue ésotérique. Son héroïne continue son introspection en aidant des inconnus familiers d'illustres artistes. En dénouant les tourments de ceux qu'elle croise, l'adolescente avance, s'accomplit et grandit. Accompagnée dans sa tâche par une vieille lingère précieuse, elle devra s'intéresser au deuil d'un enfant et prendra un peu plus conscience de la raison d'être de son don, de ses implications pour les siens et de ce qu'attend d'elle le « gardien ». Grâce à ses recherches et ses découvertes, Lou évolue pendant que la scénariste étoffe sa relation avec son psychologue et fait des révélations qui accrochent jusqu'à la dernière page. Annonçant la conclusion à venir, cet album marque une avancée importante dans la destinée de la jeune femme.
Cette narration ambitieuse ne pouvait souffrir d'une partie graphique en deçà et Maud Begon remplit sa part avec talent. À la manière de son personnage, l'autrice évolue et s'épanouit au fil des sorties. Elle réussit à maintenir un niveau constant malgré la pagination importante. Son style caractéristique s'exprime pleinement sur les décors de Jersey, les plages, la mer comme le ciel servant de parfaits terrains d'expression à sa mise en couleurs audacieuse qui marque chaque séquence d'une teinte pastel savamment choisie. De plus en plus précise dans son trait, l'artiste est également de plus en plus à son aise dans ses compositions. Et une fois la dernière planche arrivée, l'impatience d'assister à une nouvelle explosion visuelle lors du quatrième et dernier opus le partage à l'envie de tout relire.
À la manière de Médée chez le même éditeur, Bouche d'Ombre est une série bourrée de qualités tant en terme d'écriture que de graphisme. Dans la jungle des sorties annuelles, sans parler de faute de goût, il serait dommage que le public passe à côté d'une telle pépite dont chaque parution élève encore le niveau.
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