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atthieu Angotti, jeune homme engagé dans le monde associatif, a reçu une offre qu’il ne peut refuser : intégrer le cabinet du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Pendant dix-huit mois, il se retrouve au cœur du pouvoir et reçoit comme mission de concevoir un plan pour favoriser l’intégration qui deviendra, avec un peu chance, la feuille de route du gouvernement. Un job de rêve pour le militant qu’il a toujours été ? Oui et non, en réalité, son expérience ressemble rapidement à un long et douloureux apprentissage du sort réservé à ceux qui œuvrent dans l’ombre pour le bien commun.
Sur le papier, Désintégration rappelle le décoiffant Quai d’Orsay du duo Christophe Blain/Abel Blanzac et, dans une moindre mesure, Le château de Matthieu Sapin. Concrètement, Matthieu Angotti et Robin Recht proposent un album-confession plus proche du travail sans concession de Philipe Squarzoni (Saison Brune, Homicide). En effet, Désintégration joue la carte du réalisme brut de décoffrage. Avalanche d'explications techniques sur les procédures menant aux lois, des actes, des conséquences, la narration plonge le lecteur dans la mécanique interne de Matignon, luttes d’influence et ressauts de l’actualité y compris.
Même s’il faut mieux avoir un minimum de connaissance (ou de curiosité) à propos des rouages de la politique pour vraiment apprécier cette dissection dessinée, le personnage attachant d’Angotti rend la lecture prenante et très révélatrice de l’infinie difficulté à faire avancer concrètement les choses. D’ailleurs, en plus de son sujet principal, l’ouvrage s’avère aussi être un joli portrait d’un individu qui se voit donner une possibilité unique d’appliquer ses convictions dans la cour des « grands ». Par contre, en franchissant les portes du 57 rue de Varennes, il met sa vie privée de côté, au grand dam de sa femme, efface de sa mémoire les notions de repos ou de pause, se devant d’être opérationnel vingt-quatre heure sur vingt-quatre.
Changement radical de décors pour Robin Recht qui passe du Moyen-âge de Julius et de la fantasy d’Elric aux salons feutrés de la Cinquième République ! Sobre, précise, mais pas sans une certaine audace, son approche fait la part belle aux hommes et aux femmes qui campent littéralement les salles de réunion ou les anti-chambres entre deux rencontres de concertation. Ce qui aurait pu être une succession de scènes de dialogues monotones se transforme sous la plume du dessinateur en une explosion d’échanges où la bienséance est la règle d’or, malgré les coups fourrés et autres changements subits de positions de la part d’une ou plusieurs officines. Alors que les protagonistes se doivent de rester civils, c’est la mise en page qui prend le relais pour exprimer les colères et les frustrations. Recht utilise astucieusement la forme pour montrer ce qui bouille à l’intérieur et ajoute ainsi une profondeur assortie d'une violence insoupçonnées à ces joutes verbales si policées.
Peu ou pas de répit pour les braves, Désintégration décrypte avec précision le rôle souvent ingrat de conseiller ou de chef de mission et permet également de comprendre l’inertie apparente des processus décisionnaires.
J'ai toujours un petit faible pour les bds qui racontent une expérience politique sans doute pour l'avoir vécu dans ma jeunesse dans une autre vie faite d'espoir et au contact d'un homme politique ayant eu l'ambition de se présenter tout récemment à une élection présidentielle. Il est arrivé la même douche froide à l'auteur qui va se confronter avec la réalité du pouvoir et de ses arcanes qu'il faut bien maîtriser pour faire passer un projet. Il se rendra compte que les attaques les plus féroces proviennent de votre propre camp.
L'analyse qui est faite de la vie politique est bonne surtout pour quelqu'un venant de la société civile. Cela se rapproche un peu de la bd Quai d'Orsay que j'avais grandement apprécié mais avec l'humour en moins. On va s’intéresser à l’action du gouvernement de Jean-Marc Ayrault sous la présidence de François Hollande. On sait ce qu'il est advenu de ces deux hommes par la suite. Pourtant, les faits sont si récents (période couverte 2013-2014 avec un petit saut en 2016 à la fin). Les thèmes de prédilections évoqués sont l'intégration sociale d'où le titre qui va à contre-pied. Et dire que c'était un gouvernement soi-disant de gauche...
Pour ceux qui s'intéressent à la politique, cela sera véritablement passionnant. J'ai beaucoup aimé le travail des auteurs qui ne font pas dans la concession tout en restant juste et avec une pointe d'humilité qui les honorent.
Témoignage très bien raconté des espoirs et désillusions d’un conseiller de Matignon, entre petits plaisirs du pouvoir, sacrifice de la vie privé, rivalités entre ministère et tyrannie de l’actualité. C’est passionnant à condition de s'intéresser à la politique, mais aussi un peu désespérant sur sa capacité à faire avancer les choses.
Le dessin est parfait, une très bonne lecture.