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n lac. Après le chaos, un homme et ses deux fils survivent. Alentours, de rares congénères pour faire du troc et entretenir un semblant de relations sociales. Le père écrit régulièrement dans un cahier dont son analphabète progéniture aimerait connaître le contenu. Contexte apocalyptique ou non, les gènes de la rébellion adolescente et la barrière imposée par le paternel rendent les relations entre les trois individus tendues. Plus loin, les « fidèles » au nom d’un dieu de pacotille sévissent…
Après trois ans de silence, Gipi revient avec ce splendide La terre des fils qui, sur fond d’environnement hostile et vicié – illustré tant par la nature que par les derniers acteurs locaux -, construit une nouvelle réflexion sur le passage à l’âge adulte et sur les carences en matière de sentiment. Suivre les règles, apprendre à obéir lorsque l’inconnu et la curiosité sont des moteurs forts n’a rien d’évident.
Des coups de griffes au genre humain sont distribués. Sa capacité fulgurante à dégringoler l’échelle de l’évolution en un temps record pour sombrer dans les pires travers et la décadence est ici une évidence. Par calcul autant que par urgence, l’illettrisme est devenu la norme et ne subsiste qu’un vocabulaire laid découlant des anciens usages sur les réseaux dits sociaux et les sms. Aussi consternant qu’accablant.
Dans ce récit dans un premier temps intimiste s’invitent ensuite le spectacle et l’action pour rendre compte de la barbarie ambiante et des rapports (in-)humains. Ce constat vaut également d’un point de vue graphique, la maîtrise du noir et blanc est époustouflante et s’illustre à maintes reprises, au seul bénéfice de l’histoire, sans chercher l’esbroufe. Grâce au « simple » crayon de Gipi, la pluie déverse des hallebardes, le brouillard est à couper au couteau, et le soleil agit comme une massue. En milieu d’album, une séquence onirique distille émotion et démonstration visuelle. L’épisode final démontre également une aisance avérée à composer des scènes parfois sauvages dans un milieu dense. Quelques séquences parmi d'autres...
Si le côté spectaculaire a d’autant plus sa place qu’il est bien amené, l’essentiel n’est pas là ; pas plus que de savoir quelle étincelle a déclenché le chaos constitue une priorité. Le cahier – héritage laissé par le père – devient une obsession pour les fils comme pour celui qui suit leur évolution.
Retour sans faute et admirable d’un auteur indispensable, La terre des fils marque ce début d’année 2017.
J'ai bien aimé la terre des fils alors que ce n'était pas gagné d'avance. Il faut dire que je ne suis pas vraiment un inconditionnel de l'auteur qui est pourtant l'un des plus grands en Italie actuellement. Je dois reconnaître qu'il signe là son oeuvre majeure par rapport à ce que j'ai pu lire dans le passé.
Pour une fois, ces personnages ne sont pas tous laids avec des dents acérés et des nez crochus. Non, ils sont normaux bien qu'on rencontre des spécimens un peu spéciaux dans ce monde apocalyptique contaminés. Cela attire incontestablement de la sympathie et de l'intérêt.
J'ai bien aimé la manière dont est présenté les personnages autour de ce père un peu bourru avec ses deux enfants mais qu'il souhaite protéger avant tout. A noter que bien que mourant, il s'octroie une dernière ballade nocturne avec la force d'un désespéré. Le récit est âpre et plutôt sombre à l'image de ce nouveau monde. Il y a une réelle portée psychologique qui se dégage de cette oeuvre.
La lecture de cet album m’a laissé une impression mitigée… Visuellement le style de Gipi est époustouflant. Les planches, faussement gribouillées, se révèlent foisonnantes de textures, de détails, de lumières et d’expressivité. Il en émane une poésie étrange, pleine de silence et d’inquiétude.
Cette atmosphère post-apocalyptique assez onirique s’enlise hélas dans un récit malhabile. Sous couvert de dénoncer (lourdement !) notre soumission aux réseaux sociaux, l’utilisation d’un langage appauvri, les références aux sms et autres "likes" m’ont semblé complétement artificielles. La 1ère partie, intimiste et cohérente est pourtant réussie mais la 2nde est plombées par des scènes d’action clichées, trop prévisibles et inutilement violentes qui la vident de sens. C’est d’autant plus dommage que les thèmes de l’absence, du passage à l’âge adulte et de l’amour tout simplement, a fortiori dans un monde aussi barbare, étaient intelligemment amorcés.
Je me situe entre les avis de Narayan et Herve26. Entre une histoire cruelle mais émouvante et un album trop long effectivement.
L’intégralité des mots dans le cahier que les garçons cherchent désespérément à connaître n’est pas très importante. Ce qui l’est, et que nous apprenons vers la fin c’est le message du père. Oui, je vous ai élevé durement et j’ai tenté de vous protéger mais tout cela a été fait par amour et pour vous préparer à affronter un monde implacable.
Dans cette histoire, j’ai trouvé assez comique le Dieu TropKool qui fait certainement référence aux plaisirs du monde d’aujourd’hui où chacun se raccroche en laissant de côté une partie de la population crever dans sa pauvreté (montrée dans le livre par ces personnes attachées à des poteaux par le cou). On festoie, on rigole et on bouffe à petit feu ceux (ici le cannibalisme avec une partie des visages grignotés) qui n’ont pas les moyens. Cette histoire, sous couverture d’un monde apocalyptique, est une véritable allégorie du monde d’aujourd’hui.
Concernant le dessin, on peut le trouver par moment minimaliste. D’ailleurs, on ne lit pas ce pavé pour le dessin et on ne s’extasie pas devant le talent graphique de Gipi. Non, c’est un ensemble que j’ai du mal à totalement apprécier malgré les idées véhiculées. Cet album et son dessin sont à l’image de l’histoire… rudes. Mais c’est un cadeau de l’un de mes fils pour Noël et à ce titre, il a une bonne place dans la bibliothèque.
Je me suis fait offrir cette BD pour Noël compte tenu des très bonnes critiques que j'avais lues. C'est le premier livre de Gipi que je lis. Je n'ai pas du tout accroché (contrairement, dans un genre similaire, à Blast de Manu Larcenet) et c'est une grosse déception. Le thème du monde post-apocalyptique n' est guère nouveau et de son éventuel après (au gré des imaginations) non plus. Au fil des pages, j'ai attendu, notamment dans le dernier tiers, que quelque chose arrive, un nouvel espoir, un nouveau départ, mais rien. Le cahier du père, qui constitue une quête pour les garçons, restera fermé pour ne pas renouer avec l'ancien monde. la fin reste ouverte mais, semble t-il, sans beaucoup d'espoir.
Je n'ai pas compté le nombre de pages (aucune pagination) mais cette BD aurait pu se faire dans un volume deux fois moins important et faire passer le même message de l'auteur. Les dix (!) pages gribouillées du texte du cahier dans le premier tiers du livre sont-elles nécessaires ?
La recherche chez certains (tant les auteurs que les lecteurs) d'univers glauques, cruels, pessimistes est-il le reflet de notre époque et du mental humain? Le quotidien ne suffit-il pas?
Déprimant.
Je crois que je n'avais pas ouvert un livre de Gipi depuis" Notes pour une histoire de guerre". C'est en écoutant l'auteur à la radio, à l'occasion du prix RTL de la bd de l'année 2017, qu'il m' a été donné envie de me procurer cette bande dessinée.
Ce pavé de près de 300 pages (non numérotées,au passage) se lit pourtant assez vite. Nous sommes plongés,dès le début, dans un univers glauque où deux jeunes garçons sauvages tuent un chien.
Sans connaître les raisons du monde post-apocalyptique dans lequel ils vivent, nous sommes happés par leur histoire. Le récit, très cinématographique au demeurant,peut faire songer à l'univers du roman de Cormac Mc Carthy, "La route", bien que l'ensemble de l'histoire se déroule autour d'un seul lieu, un lac.
Gipi aborde ici beaucoup de thèmes sans en avoir l'air:de l'éducation à l'amour filial, en passant par le fanatisme, nous suivons une véritable quête du Graal-avec le livre de leur père- entreprise par ces deux ados, livrés à eux-mêmes.
Mais cette histoire est véritablement sombre, cruelle, même sous le trait en noir et blanc,adroitement brouillon,de Gipi.
L'auteur ne laisse que très peu de place à l'espoir dans cette histoire, laissant le lecteur imaginer une fin.
Un livre très fort, que j'ai dévoré d'une traite et qui mérite amplement son prix et sa place dans la sélection du festival d'Angoulême cette année.
Étonnant roman graphique. Cela m'a rappelé le film "la route". Très bon moment de lecture. Après la fin d'un monde vu par Gipi. Bravo l'artiste.