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ars 1935, Jacques, pourtant bon élève, abandonne l’école pour travailler dans un chantier naval bordelais. C’est le point de départ de Mémoires d’un ouvrier (une intégrale regroupant Mémoires d’avant-guerre et Mémoires sous l’occupation volumes 1 et 2) dans lequel Bruno Lotti raconte les vingt ans de son père. Le labeur est rude, les journées longues, les vacances rares, sans oublier le bizutage imposé par des collègues qui exagèrent un brin. Suivent les années de guerre. Pour ces petites gens, le conflit est à la fois proche et lointain. Il y a certes la présence allemande, les tickets de rationnement, les appels de De Gaulle et la résistance, mais il y a surtout les randonnées en forêt, les copains, la famille et l’amour. C’est d’ailleurs ce qui compte le plus pour le jeune homme.
Dans cet album, l’auteur fait oeuvre d’ethnologue. Consignant les souvenirs de son père, il s’assure que l’on conserve la trace d’une époque révolue : techniques de travail, montée des mouvements ouvriers, musiques écoutées, films à l’affiche et même des petites curiosités (comment diable se fait-il qu’on doive préciser qu’il est interdit de cracher dans le métro parisien ?). Le rythme est cependant lent et il se passe peu de choses dans ces trois cents pages. Sans être insipide, le résultat n’est pas concluant. En terminant le livre, le lecteur se questionne sur les raisons justifiant un projet d’une telle ampleur. L’album aurait de toute évidence été plus captivant si le choix du protagoniste avait été commandé par l’intérêt du héros plutôt que par son lien avec le biographe.
La précision du dessin renforce l’aspect documentaire de l’entreprise. Les illustrations reposent sur une importante recherche, notamment sur les installations et les savoirs déployés pour la construction des paquebots il y a près d’un siècle. La démarche rappelle évidemment celle de Tardi (particulièrement dans Stallag IIB) et se traduit dans le traitement des personnages qui rappelle ceux de l’auteur d’Adèle Blanc-Sec. Le noir et le blanc dominent dans cet album mais, de temps à autre, un détail est colorisé. Ce jeu donne lieu à de jolis clins d’œil (la jeune femme convoitée porte un chapeau de la teinte du foulard son admirateur alors que tout le reste de la case est gris), mais également à des ruptures (le vélo est tantôt mauve tantôt cendré). Ce parti-pris chromatique donne néanmoins des résultats intéressants d’un point de vue purement esthétique.
Une attachante chronique du quotidien des années 1930 et 1940 ; il y manque cependant un petit quelque chose, par exemple une trame plus forte.
Je ne me lasserais sans doute jamais de lire des témoignages de gens qui ont vécu dans notre pays sous l’Occupation. Chacun a une expérience différente à raconter. C’est la somme de ces expériences qui est retenue par l’Histoire. On avait suivi la vie du père de l’auteur lorsqu’il est devenu apprenti sur un chantier naval. J’ai appris récemment que mon arrière-grand-père avait également travaillé sur un grand chantier naval d’où ce récit avait une consonance particulière en ce qui me concerne.
Cette suite m’a paru bien meilleure que l’œuvre précédente. C’est sans doute lié au fait qu’il se passe des choses autrement plus dramatiques. J’ai aimé cette façon de raconter et d’amener les choses. Le trait du dessin m’est apparu assez agréable. Bref, la lecture a été un réel plaisir. Et puis, par le biais de ce récit, on apprend toujours des choses intéressantes qu’on ignorait jusqu’alors. Bref, l’histoire de notre pays est passionnante.