21 avril 1770, la princesse Marie-Antoinette fait des adieux déchirants à sa mère et à l’Autriche : elle part pour la France épouser le dauphin, Louis-Auguste. À 14 ans seulement, les sentiments divers se bousculent en elle : la peur d’abord, elle ne connait ni son futur époux, ni sa nouvelle patrie. Mais aussi de l’excitation, elle qui était toujours la dernière, elle se retrouve au cœur de toutes les attentions ! Pour l’escorter dans son fastueux voyage, Marie-Josèphe Sanson, bourreau de Reims et sœur de Charles–Henri, « Monsieur de Paris », l'occasion d'un premier contact qui ne sera pas sans conséquence.
La jeune archiduchesse sert de fil conducteur dans ce récit où les désaccords et les tensions entre les deux Sanson atteignent un point culminant. En arrière-fond, Les jeux de pouvoirs à Versailles battent leur plein avec ce mariage éminemment politique et tactique. De nombreuses figures historiques apparaissent et se croisent, trop rapidement peut-être, car il y a peu de place et de temps pour les développer dans ce tome, avant-dernier du premier cycle. Mais ce n'est pas le but de l'intrigue car le constat est indéniable : il s'agit d'un volume charnière qui montre une flagrante évolution dans les tempéraments. Charles-Henri n’est plus le fragile jeune homme sensible dégoûté de sa profession ; place à l’homme instruit et fort dans sa tête, déterminé à reprendre le flambeau. La cadette a mûri et s’assume complètement. Le face à face final laisse le lecteur en plein suspense tragique.
Shin’ichi Sakamoto (Ascension) change ici de registre. Il adapte le roman de Masakatsu Adachi qui retrace la lignée des célèbres bourreaux. Partant d'un sujet pointu très bien documenté, il s'en détache afin de donner un souffle romanesque, traduisant à sa façon la psychologie de l’Exécuteur des hautes œuvres. Ce faisant, il s’attache à la personnalité plus qu’à la carrière. Le langage soutenu est ancré dans l'époque, les dialogues intelligents basculent volontiers dans un lyrisme qui pourrait déconcerter. En effet, des adjectifs tels que sophistiqué, exubérant, grandiloquent, viennent à l'esprit mais deviennent raffiné, recherché, poétique pour qui se laissera charmer par cette série pour adultes. Il y a de la violence, des scènes érotiques (floutées), mais cela est fait avec un art et une maîtrise qui frisent à chaque fois le trop, sans le dépasser. L'alternance de moments intenses et contemplatifs rythme idéalement l'intrigue.
Le graphisme majestueux prend un cran supplémentaire avec des contrastes de noir et blanc terriblement expressifs et lourds de sens. L’élégance, la finesse sont toujours présentes, de même que les détails à foison, les métaphores visuelles subtiles et la mise en scène théâtrale. Les décors, les costumes, les visages sont très réalistes.
À la fois rigoureux historiquement et très libre dans l’interprétation, Innocent forme un mélange atypique qui nécessite une certaine largeur d’esprit et de lâcher prise afin de profiter pleinement de la passion qui en ressort. Les partis pris de l’auteur agaceront certains : apparences androgynes, mœurs très libres, exacerbation des caractères. Réservé à un public averti, ce manga sort clairement du sentier très balisé de l'ouvrage historique.
Le conflit entre Charles-Henri et son excentrique sœur Marie-Joseph atteint son point culminant alors que la série s'approche de sa fin. L'affrontement aura bien lieu. Pendant ce temps l'auteur nous raconte l'arrivée de Marie-Antoinette en France et la crudité des règles de cour faisant de la femme une simple génitrice. Sakamoto a toujours entretenu une ambiguïté sexuelle sur ses personnages présentant de nombreux androgynes et homosexuels et transpose à la cour les perversions ou blocages sexuels. Malgré des thèmes toujours intéressants et un traitement graphique très poétique, la série ne parvient pas à retrouver la tension des premiers volumes et son discours sur la peine de mort.
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