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ouze novembre 1918, l'envahisseur dépose les armes. Deux militaires sympathisent ; Julien est français et Max allemand. Le premier, issu d’une riche famille d’industriels, souhaite retourner à la maison, alors que son camarade, déjà engagé dans les mouvements anarchistes, compte repartir dans son pays pour combattre le régime impérial. À son comparse qui lui reproche de trop rapidement se lancer dans une nouvelle lutte, il rétorque « Nous allons tuer la guerre ». Avec son groupe, auquel se joint finalement Julien, Max s’empare d’un navire chargé de fusils, de mitrailleuses et de munitions. La destination est Hambourg, mais par un concours de circonstances, leur embarcation prendra le chemin du Mexique où d’autres insurrections sont en cours.
Ce scénario, signé Kris, amorce le deuxième tableau d’une vaste fresque sur la violence politique au XXe siècle. Notre mère la guerre avait pour décor le conflit de 1914-1918. Notre Amérique s’intéresse pour sa part aux cellules révolutionnaires mexicaines et américaines. Devraient suivre une série sur les pacifistes et l’extrême-gauche des années 1960 et 1970, puis une dernière sur la mouvance islamiste des années 1990. Un vaste programme qui s’annonce fascinant.
Bien qu’il ne manque pas d’attrait, ce premier opus est un peu lent. Dans cet album en forme de long prologue, l’auteur présente les trois personnages principaux et campe le contexte historique dans lequel se déroulera l’action. Le lecteur pourrait cependant déplorer de ne pas entrer suffisamment rapidement dans le vif du sujet. Cela dit, les enjeux sociopolitiques sont complexes et méritent explications. Mentionnons par ailleurs l’exceptionnelle qualité de l’écriture, tant dans les dialogues que dans la narration.
Aux pinceaux, Maël réalise une fois de plus un ouvrage magnifique. Après avoir traduit l’esprit des tranchées, il traverse la France en s’arrêtant à Paris et Rouen, puis monte à bord d’un paquebot qui le conduit sur le nouveau continent. En continuité avec le style développé dans la quadrilogie sur la Première Guerre, son travail à l’aquarelle (principalement des tons d’ocre et de jaune), rend à la perfection l’atmosphère qui régnait au début du siècle. Petit complément à ses illustrations : un des protagonistes est photographe. Sans qu’il soit véritablement question de mise en abyme, les images dans l’image soulignent diverses actions et tout porte à croire qu’elles préfigurent certains événements à venir.
Les premières notes du deuxième mouvement de cette symphonie écrite par Kris et Maël sont convaincantes. Dans une quinzaine d'années, l’œuvre se livrera dans son intégralité.
Je viens de découvrir cette formidable série cinq ans après son lancement et trois albums parus sur les quatre prévus. L'écriture est remarquable. J'ai été emballé par le premier album. Le dessin de Maël peut dérouter par son apparente simplicité et son côté jeté mais en y regardant bien, il révèle sa grande richesse. le dessinateur sait mettre en scène chaque case, se placer sous l'angle le mieux approprié pour servir le récit. Il utilise aussi habilement les aquarelles pour bâtir avec sobriété et une palette restreinte des ambiances et des lumières très subtiles. Ses paysages et ses vues larges, s'ils n'en jettent pas plein les yeux, n'en sont pas moins capables d'évoquer les lieux où évoluent les personnages avec une rare véracité.
Le vent de l'aventure souffle sur cet album. Il souffle sur les personnages, les fait vaciller, les fait avancer, les stoppe ou les détourne carrément de leur route, les jette dans le pétrin ou sur les mers, ou les deux à la fois. Et c'est dans leur capacité à se servir de ce vent, ou a s'en accommoder, que les personnages grandissent ou périssent, se libèrent ou se consument.
L'aventure, lorsqu'elle est développée par deux auteurs de ce talent, a un parfum qui rappelle les plus beaux textes littéraires du genre. Une telle réussite dans un domaine de la fiction pourtant si souvent visité, c'est remarquable.
C'est vrai qu'elle est belle notre Amérique. Elle accueille en l'occurrence un jeune français revenant du front de la guerre de 1918, un alsacien ayant servi pour le Kaiser et une joyeuse bande d'anarchistes prêts à en découdre à Hambourg. Le tout se retrouve suite à un coup du sort en pleine révolution mexicaine et surtout prêt à envahir les Etats-Unis. On croît rêver pour adhérer à un tel scénario.
Pour autant, j'avoue ne pas m'être arrêté au premier volume et continuer au second pour voir. Mais non, cela n'est guère crédible. Il y a certes de la romance avec des fils tellement usés. Rien d'innovant si ce n'est cet incroyable scénario et une lecture qui reste heureusement agréable...
Coté dessin c'est du Maël: un peu fouillis, pas super réaliste sur les visages, mais perso j'adore l'ambiance qu'il arrive à donner grâce à ses couleurs et les détails des décors.
Côté scénario, ce premier tome nous fait découvrir les trois protagonistes: c'est fluide, bien posé au travers d'un voyage atypique de l’Allemagne vers le Mexique. Le jeu entre les photos du photographe et les cases des planches est plaisant et permet de donner la profondeur aux différentes scènes.