A
rkham, paisible cité universitaire du paisible Massachusetts, sur les rives de la Miskatonic, à l’aube des années trente. Clark Elwood, un fils de bonne famille, y rencontre Kito, étudiante originaire du Grand Nord. Mais leur idylle tourne court ; bientôt, la mystérieuse jeune fille s’enfuit vers son village natal. Lancé à sa recherche, Clark débarque à son tour à Lame Dog, ce sordide trou perdu au milieu des neiges, habité par une population hébétée, hostile, inquiétante à bien des égards. Reclus, hors du monde, ces héritiers des premiers colons et de natifs indiens semblent vouer un bien étrange culte à un bien sinistre dieu…
Arkham, un nom évocateur s’il en est, synonyme d’indicible horreur tapie dans quelque recoin secret du vaste monde. La promesse cent fois tenue d’effroyables révélations et de monstruosités archaïques, se rappelant cruellement à la mémoire des hommes. Car c’est bien au cœur de la mythologie lovecraftienne que cet hommage de Richard Corben au maître de Providence va puiser ses sources. Mais tel un alter ego transcendé de l’écrivain, Clark Elwood affronte ses peurs et ses préjugés en osant braver sa nature timide... et va, aidé de quelques coups de pouce du destin et d’une bonne dose de shamanisme indigène, se révéler à lui-même.
Creusant son sillon depuis plus de quarante ans, hors des modes, l'auteur explore inlassablement les tréfonds des angoisses humaines et met en images les classiques de la littérature fantastique, d'un dessin immédiatement reconnaissable, fait de déformations quasi expressionnistes des corps et d'un traitement hyperréaliste des surfaces, privilégiant le rendu des matières et de la lumière. Une lente évolution se fait jour, cependant, vers un trait plus simple, des formes plus massives, des décors dépouillés... La mise en page en revanche se complexifie, utilisant les imbrications de cases pour dynamiser le récit. Une imbrication qui se retrouve jusque dans la narration elle-même, parfois éclatée, jouant des ellipses et des sauts temporels, une mécanique qui s'apprécie mieux à la relecture, d'ailleurs.
Entre légendes amérindiennes et mythes des Grands Anciens, en prenant le contre-pied des thèses raciales de Lovecraft, Corben offre au lecteur un hommage tout à la fois respectueux sur la forme et irrévérencieusement ironique sur le fond, jusqu’à la vignette finale, parfaitement iconoclaste.
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