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ée en 1906 dans une famille misérable du sud des États-Unis, Freda Joséphine McDonald est pourtant gaie et insouciante. Sa vie se résume à monter sur scène pour danser et faire des pitreries qui lui valent un succès grandissant. À l’aube de la vingtaine, devenue Joséphine Baker à la suite d’un bref mariage, elle choisit d’émigrer dans une France où les tensions raciales sont inexistantes. Avec pour seul vêtement un pagne auquel sont accrochées des bananes, elle fait les beaux jours des cabarets de toute l’Europe. Derrière cette façade cabotine se cache une femme engagée, d’abord dans la résistance pendant la Deuxième Guerre, puis dans la lutte pour les droits des Noirs en Amérique. Le troisième et dernier volet de son histoire est lui aussi tumultueux. Se découvrant tardivement une vocation maternelle, le boute-en-train adopte des enfants partout dans le monde. Blancs, marrons ou aux yeux bridés, peu importe ; on en compte une douzaine dans son château en Dordogne.
José Louis Bocquet livre une excellente biographie. Son propos est divisé en un peu plus d’une centaine de courts chapitres qui sont autant d’instantanés des grands et petits moments qui ponctuent l’existence de ce personnage au destin hors du commun. Sans occulter les segments les plus spectaculaires et connus de la carrière de la chanteuse et danseuse, l’auteur fait le choix de s’attarder sur son enfance (pauvre dans un monde où règne la discrimination) et sa maturité (dans une riche demeure où cohabitent toutes les nations). L’un est évidemment une réponse à l’autre. Entre les deux, à savoir la période de ses triomphes sur scène, le propos est un peu redondant, comme le montrent les innombrables reprises de J’ai deux amours. Ce succès populaire donne néanmoins à l’afro-américaine les moyens de mettre du baume sur les blessures de sa jeunesse. Elle le fait avec son combat contre les injustices et dans son investissement familial.
Le dessin de Catel Muller est à la hauteur du scénario qu’on lui a confié. Avec un trait en apparence simple, elle arrive à tout représenter. Des taudis de Saint-Louis aux châteaux du sud de la France en passant par les théâtres des grandes métropoles du monde, tout lui semble facile. Le travail qu’elle fait sur le visage de la protagoniste est également fascinant. Pour illustrer le passage des ans, elle modifie imperceptiblement son coup de crayon et démontre ainsi que son personnage vieillit, même si elle semble inépuisable. L’album est en noir et blanc et c’est très bien comme cela ; la couleur n’aurait rien apporté de plus.
Le récit d’un destin exceptionnel raconté avec beaucoup de grâce.
Suis-je un gros inculte ? Sincèrement, je ne le pense pas. Moi également, je ne connaissais pas la Miss Joséphine Baker. Et pourtant, c‘était un personnage qui a marqué son époque à savoir les années folle. Mon arrière-grand-mère l’aurait sans doute mieux connu que moi. C’est daté. Pour autant, je suis étonné qu’on n’en parle plus à notre époque. C’est comme ces choses qui ont marqué leur temps en brillant intensément puis un siècle plus tard, on est totalement passé à autre chose.
A-t-elle réellement influencé la danse moderne ? Il faut sans doute suivre les cours d’art dramatique pour connaître la réponse. En tout cas, cette biographie se concentre surtout sur le mondain. Alors, oui, elle a vraiment connu toutes les personnalités de l’époque que cela soit de grands écrivains ou artistes (Dali, Jean Gabin…) et même un célèbre architecte (Le Corbusier). Elle a eu d’innombrables aventures dans une vie un peu débridée où on lâchait prise.
Par contre, rien sur les techniques de danse ou le travail accompli afin de se démarquer pour être une grande vedette. Certes, il y avait les pitreries sur scène qui faisait rire la bourgeoisie. Mais bon, c’est peu. Quelques scènes n’ont un peu marqué. Au début, nous avons une enfance dans un milieu très pauvre. Elle devient la bonne à tout faire d’une vielle dame qui l’a maltraite au point où l’on se prend de pitié pour elle. Mais visiblement, cela ne semble pas la marquer car elle est d’humeur toujours joyeuse.
Les mauvais côté du personnage sont également présents car elle était assez volage et peu fidèle. Cependant, c’est un très gros pavé qui compile toutes les anecdotes de sa vie. On a l’impression qu’elle a vécu dix fois. Il y aura une quantité de personnages différents et il faudra suivre (du genre elle aura deux fois un mari portant le même prénom Willie).
C’est assez passionnant à lire malgré l'impressionnante quantité de pages. J’ai beaucoup aimé le style graphique ainsi que la mise en scène. C’est frais et aérien. Le divertissement est assuré avec une telle femme. Je garderai un souvenir joyeux de la première célébrité black qui s'est également battu pour les droits civiques et qui aimait notre pays au point d'avoir été naturalisé.
En dépit d'un dessin très pauvre (qui malheureusement, depuis PERSEPOLIS, est devenu la norme pour illustrer toute biographie), ce pavé qui retrace le destin incroyable de JOSEPHINE BAKER reste plaisant à lire. Intéressant et instructif, souvent drôle (la Baker avait un sacré caractère !), cette BD demande quand même plusieurs heures de lecture. A savourer donc en plusieurs fois, en faisant des pauses entre les chapitres, comme on lirait un roman.