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obby arrive en ville. Un emploi de vendeur en librairie l’attend. Amoureux de la littérature et des livres, il va pouvoir s’adonner à sa passion et, peut-être, un jour, devenir écrivain. Le patron le prend en affection et tâche de l’aider. Mais rien n’est facile. Le jeune homme vient de la campagne et d’une famille défavorisée, financièrement, socialement et culturellement. Plongé brusquement dans les codes de la petite bourgeoisie provinciale, il peine à s’adapter. Les bonnes intentions de chacun ne suffisent pas. Le poids des origines ne disparaît pas d’un claquement de doigts.
Hugues Barthes, scénariste et illustrateur rouennais, continue de construire une œuvre cohérente et fortement autobiographique. Récit social et intimiste, Bobby change de linge aborde des interrogations essentielles, sans pour autant apporter de réponses définitives. Il y est question d’incommunicabilité, d’incompréhension, d’homophobie, d’art, de sexualité. L’auteur crée de multiples situations dans lesquelles l’individu cherche toujours sa place dans le groupe. La langue devrait y aider, mais les langages ne sont pas identiques. La culture pourrait être une ressource, néanmoins tout le monde n’a pas la même. Bobby se prénomme ainsi en référence au personnage de la série américaine Dallas. Lui fréquente plutôt Arthur Rimbaud et s’émerveille devant un ouvrage de la collection La Pléiade.
Le graphisme d’Hugues Barthes tend à une certaine simplicité. C’est un noir et blanc rehaussé d’une couleur unique, choisie pour l’atmosphère de la scène. Il y a peu de décors, les expressions faciales sont en retenue. Le sens et l’émotion viennent de l’association des textes (dialogues ou monologues de Bobby) et de l’image, aux corps figés. Un rythme nonchalant s’impose, ponctué par de belles saillies d’humour, pour incarner, au fil du récit, la désillusion et une forme de fatalisme.
Bobby, en réaction, va s’octroyer des droits, transgressifs et salvateurs : rejeter sa famille, ne pas aimer ses parents, mépriser la médiocrité intellectuelle, refuser de converser avec un crétin, dénoncer la « beauf attitude ».
Même si certains clichés sur les déterminismes sociaux ne sont pas évités, cette bande dessinée est avant tout sensible et intelligente. Elle fait le tour des combats quotidiens de l’individu avec lui-même ou son environnement, y compris lorsque tout semble objectivement à sa place. Les luttes les plus âpres et les plus longues sont internes et invisibles. L’espoir existe, une révolte est possible et l’Art peut y aider.
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