L
’ouvrage s’ouvre sur Betty Boop incarnant le Petit Chaperon rouge, façon dessins animés en noir et blanc du début des années 30. Robe très courte et porte-jarretelles apparent. Le loup est là. Il entreprend la jeune fille et commence sa farandole de mensonges et de tromperies. Norma Jeane Baker, venue d’on ne sait où, arrive à Holy Wood, forêt épaisse et sombre. Ce sont alors les castings sordides, les regards malsains, et un tourbillon de personnages, qui ne révèlent rien d’eux-mêmes mais détiennent tous leur vérité sur l’actrice débutante. Un engrenage fatal se met en marche : la révélation du pouvoir qu’exerce la plastique de Norma sur les hommes, les premiers succès publicitaires, la métamorphose, la naissance de Marylin, le cinéma, les cocktails aux bords des piscines, les amants, les ruptures. Et le vide intérieur qui s’accroît au fur et à mesure que la vie sociale s’étoffe. Les loups sont partout.
Tommy Redolfi propose, avec Holy Wood, un « portrait fantasmé de Marylin Monroe ». Pas une biographie, ni une hagiographie. L’auteur oscille entre faits réels et situations imaginaires, entre individus avérés dans l’entourage du sex symbol et personnages inventés. Son habileté est de prendre le point de vue de son héroïne et de présenter le monde tel qu’elle le perçoit, avec ses manques, ses mystères, ses incohérences, ses douleurs, mais aussi ses moments de grâce et d’épanouissement. C’est la réalité perçue par une petite fille, qui ne peut pas mettre des mots sur toutes les expériences qu’elle vit. Elle est mue par une dynamique étrange, faite d’un environnement, dont tous les codes ne sont pas compris, et de pulsions intimes, par définition non maîtrisées.
L’adjectif « fantasmé » est une des clés de cet album. La substitution de Norma Jeane par Marylin a été l’incarnation des fantasmes masculins. Elle-même s’est voulue et crue actrice dans l’âme, alors qu’on ne demandait qu’à son corps de jouer. Et puis, il y a la seconde moitié du récit, qui prend une tournure beaucoup plus psychanalytique. Poussée au bout d’elle-même, Norma Jeane/Marylin rencontrera ses failles et ses traumas. Sa psyché s’effondrera et personne ne sera là pour lui tendre la main. « Telle mère, telle fille … » résumera une des ombres de son entourage, lorsque l’association alcool et barbituriques la perdra.
Holy Wood est une œuvre qui emporte, attendrit et bouscule. Aucun cliché ni facilité dans cette évocation d’un des plus forts symboles culturels du 20è siècle. Au contraire, le traitement y est personnel, engagé et sans compromission. Il en est de même pour le graphisme, à l’unisson des choix narratifs : chaque case dit et sous-entend simultanément. L’extraordinaire mise en couleur ne se contente pas de montrer l’aspect charnel des personnes, des objets ou des lieux. Elle en révèle l’âme, leur « part d’ombre » écrirait James Ellroy qui, lui aussi, n’a de cesse d’exhiber l’humanité sombre qui affleure derrière le strass hollywoodien.
Sur plus de 240 planches, l’artiste grenoblois montre une créativité narrative et graphique peu commune. Qu’il s’agisse de la construction des personnages, de la mise en scène des situations, de l’utilisation fine et cinématographique du cadrage ou encore de la colorisation qui permet à des contrastes forts et des dégradés subtils de coexister, tout dans cette œuvre émerveille et rend hommage au pouvoir artistique d’une bande dessinée totalement désinhibée.
C'est une bien étrange histoire qui raconte un peu la vie fantasmée de la célèbre icône Marilyn Monroe. C'est une véritable star qui s'est brûlée les ailes sous l'autel implacable Hollywood. Tout commence comme dans un conte de fée mais qui va virer au cauchemar autour du loup qu'il ne faut surtout pas laisser entrer dans la chambre à coucher. Les bois Hollywood ne sont guère rassurants.
C'est profondément noir et sombre. On a presque un sentiment de malaise devant un tel destin tragique. Ce n'est guère une lecture reposante mais plutôt oppressante. Il est clair que le mythe sera revisité à une sauce psychologique plutôt mélancolique. La dépression n'est pas loin. Les ambiances graphiques sont parfaitement réussies pour dépeindre cette atmosphère étouffante. Le mal-être ira en grandissant avec le succès avant une issue fatale.
Une étonnante métaphore de la vie d'un des plus grands mythes Hollywood.