O Senseï n'est pas une biographie au sens littéral du terme. D'ailleurs, Edouard Cour s'en défend, il lui aurait fallu bien plus de place pour parler de cet homme aux mille vies et autant d'épreuves surmontées. Le créateur du remarqué Hérakles a choisi de s'intéresser au cheminement de celui qui fonda l'Aïkido. Ou comment, cet homme d'un mètre cinquante-quatre, régulièrement malade enfant, en est arrivé à créer une discipline devenu art martial et à marcher sur « la voie de concordance des énergies ».
En s'attaquant à la vie de cet homme incroyable, Édouard Cour savait qu'il surprendrait ses lecteurs. Cette fois, pas de combat épique, pas d'humour corrosif, ni de Dieu à défier ou de travaux à accomplir. En prenant le contre-pied de ce qu'il avait proposé dans sa première œuvre, la frénésie grecque laisse place au calme, voire à la contemplation. Sans décrire par le menu l'existence du maître, c'est donc sur un rythme lent qu'il s'attache à une naissance et met en avant une évolution : d'un enfant chétif à un adulte au corps robuste capable de détruire son ennemi avant de se tourner vers la maîtrise, le contrôle symbolisé par son penchant pour l'Aiki. Si l'histoire est romancée, chaque étape importante du parcours de Moriheï Ueshiba est présente. Son intérêt pour la spiritualité, sa curiosité pour les différentes formes de jutsu mais surtout son incroyable force de caractère qui l'ont conduit à parcourir son pays et d'autres, enrichir ses techniques et en appréhender de nouvelles. Les rencontres et les hommes - les grands maîtres Sokaku Takeda et Onisaburo Deguchi notamment - qui l'ont marqué, aidé, orienté et fait progresser sont également cités. Et bien sûr, sa proximité avec la nature, la terre surtout. Scène après scène, le scénariste compose sa fresque : l'apprentissage prend vie, chaque dépassement répondant à une limite rencontrée, chaque réflexion à une contrainte. Et, évidemment, la (probable) confrontation avec un soldat maître du Kendo, la révélation - le Satori - qui en résulte lui servant de nœud narratif. Malheureusement, face à une telle densité, les erreurs étaient quasi inévitables. Plutôt que les taire, l'auteur les pointe, s'excuse et explique. Une manière supplémentaire de prouver l'honnêteté intellectuelle de la démarche de celui qui est devenu un élève de ce « Budo ».
Visuellement aussi le changement est flagrant. Suivant le même procédé que pour la Grèce Antique, le graphiste de formation s'est approprié les différentes techniques picturales japonaises - peinture à l'encre, estampe et manga notamment - pour les utiliser dans sa narration. Ainsi, chaque époque possède son type de dessin, et en un coup d'œil, le lecteur attentif parvient à replacer la séquence à la bonne période. L'élégance du Noir & Blanc magnifie un trait dynamique et expressif tandis que le jeu continuel entre les ombres et les lumières réserve quelques surprises. Inventif dans ses cadrages, son découpage et plus globalement dans sa mise en page, le dessinateur explore, avec une réussite indéniable, toutes les pistes possibles pour que la scénographie raconte autant que ses textes.
Surprenant autant par son sujet que par son traitement, O Senseï éblouit par une forme qui participe pleinement à la narration. En plus d'élargir la palette d'un auteur décidément à suivre, il propose une belle ouverture pour découvrir un homme et un art complexes, empreints de compassion.
Magnifique travail graphique d’Édouard Cour, l’auteur du génial "Herakles". Il nous livre ici sa version très personnelle de la naissance de l’Aïkido, à travers le Maître qui l’a théorisé et mis en pratique. Un hommage quasi philosophique qu’il prend à bras le corps avec humilité, déférence et sincérité, ne cherchant ni le spectacle ni l’emphase.
Je ne connais rien à cette histoire mais pour le texte, la biographie semble parfaitement documentée et respectée. Pour l’image, Cour y déploie un éventail de techniques différentes et assez bluffantes rendant l’ensemble tout à fait original.
Mais malgré ses qualités, soyons clair, le public susceptible d’être touché par cet album s’apparente à une niche… Il faut être bédéphile, cultivé, amateur d’œuvres indépendantes ET pratiquant d’arts martiaux ! Pas gagné…
Après la trilogie très réussi d'Herakles, Edouard Cour nous revient avec une nouvelle BD historique et un style graphique totalement différent (dessin réaliste noir & blanc), avec la volonté de nous faire découvrir l’origine de l'Aïkido à travers plusieurs époques de la vie du fondateur de cet art martial.
Le BD est rythmée, les doubles pages sont magnifiques, le style graphique change en fonction de l'époque est une très bonne idée, et la lecture est enrichissante.
Bref, je vous conseil à tous cette bande dessinée :)