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uyant un fiancé violent, Belle Yang retourne chez ses parents. Très ébranlée par cette relation toxique, elle reprend peu à peu pied grâce à son père à qui elle a demandé de lui raconter ses souvenirs d'enfance. Né en Chine dans l'entre-deux guerre puis ayant émigré aux États-Unis via Taïwan et le Japon, la trajectoire de ce dernier va permettre à la jeune femme de faire le point sur son existence et trouver un équilibre entre ses différentes origines culturelles.
Récit cathartique et biographique, Forget Sorrow donne également un excellent aperçu des conditions de vie dans la Chine d'avant la révolution menée par Mao. Issu d'une famille patricienne de Mandchourie (alors envahie par le Japon, avant de se retrouver déchirée par les luttes entre Nationalistes et Communistes), « Baba » témoigne des changements radicaux que la société chinoise doit affronter. Entre tragédie antique et intrigues digne de Dallas, la scénariste raconte avec force et une certaine envie les démêlées sans fin qui déchirent sa tribu d'origine. Respect des traditions ancestrales, nouvelles donnes sociales et économiques, conflits philosophiques et religieux, le scénario embrasse une multitude de sujets, mais, heureusement, ne s'éloigne jamais de son fil rouge : les racines de Belle. Certes, la narration s'avère parfois lourde, particulièrement à cause des innombrables textes explicatifs. Mais, une fois « digérée » cette masse d'informations, le lecteur ne peut être qu'emporté par la richesse et la diversité des mésaventures dramatiques des Yang.
Graphiquement, le résultat est également des plus impressionnants. Ayant étudié l'Art en Californie et en Chine (à Pékin, où en 1989, elle a été témoin de la terrible répression de la place Tiananmen), Belle Yang pioche allègrement son inspiration en Orient et en Occident. Entre peinture classique chinoise et expressionnisme européen (Edvard Munch n'est jamais loin quand il lui faut exprimer son désarroi), la dessinatrice réalise un véritable tour de force stylistique. Le résultat est extraordinaire d'homogénéité, le trait faussement maladroit voire naïf se révélant parfait pour montrer les sentiments des différents protagonistes.
Dense et d'une profondeur psychologique remarquable, Forget Sorrow est une œuvre aussi originale par sa forme qu'implacable par son fond.
Cette oeuvre retrace le parcours de Belle Yang pour devenir une artiste. Elle se sert de l'histoire familiale contée par son père. Il est vrai qu'elle n'a pas eu de chance en tombant sur Oeuf pourri, un homme qui la harcèle constamment. Elle a dû fuir la Californie où elle étudiait pour trouver refuge au creux des récits de son père déraciné.
La famille a vécu dans la Chine communiste avant de fuir vers Taiwan. Cette aventure a presque la forme d'un conte taoïste et bouddhiste avec un état méditatif qui est décrit à merveille. On peut être éventuellement touché par ce récit. On l'a comparé avec le travail de Marjane Satrapi sur Persepolis.
Bref, nous avons un seinen pas comme les autres avec un véritable guide de lecture ainsi que quelques points de réflexions. Là encore, on peut s'interroger sur le fait que personne n'a encore avisé ce roman graphique qui était classé parmi les meilleures lecture de l'année 2010 pour la plupart des magazines américains spécialisés (Gawker, Miami Herald, Times Literary, Boston Bibliophile...).