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vec L’art du Canard (ou DUCKOMENTA), le collectif allemand interDuck, sous l'égide du Dr. Bauer de l'école supérieure des Beaux-Arts de Brunswick, nous propose une incroyable galerie où tous les personnages de tableaux célèbres se retrouvent affublés… d’un bec de canard, fatalement. Ce qui aurait pu se limiter à un simple canular un peu potache se transforme en véritable livre d’Art car c’est la multitude des reproductions et des détournement compilés dans l’ouvrage qui, à elle seule, fait oeuvre : toutes les périodes artistiques, depuis l’antiquité jusqu'à nos jours, toutes les civilisations à travers les cinq continents sont "canardisées" de fond en combles. Peintures, sculptures, estampes, reliques, bas-reliefs, enluminures, livres d’heures, vaisselle, objets rituels et même photographies… tout y passe. Renoir, Mondrian, de Vinci, Braque, Vermeer, Vélasquez, Picasso... De la Renaissance au pop-art, aucun peintre n’est épargné. Et si leurs noms sont détournés façon palmipède, cela offre un jeu de piste amusant pour les mémoires défaillantes.
Au-delà des théories intellectualisantes et des exégèses réunies en annexe - le canard comme miroir de l’humanité, uchronie anthropomorphique et autres fadaises essayant de soutenir la démarche par un discours critique - ce qui est frappant c’est que, s'il existe des dizaines de façons de dessiner de becs de canard, ce sont en Donald, Daisy, Gontran ou Picsou que les artistes d’interDuck ont décidé de grimer leur victimes. Plus encore qu'un beau livre, L’art du canard pourrait passer pour une vulgaire commande de l’oncle Walt (pour preuve, les nombreux Mickey, Minnie, Pluto et consorts hors sujet qui se sont glissés ici et là dans la compilation) célébrant son hégémonie sur la culture populaire mondiale, phagocytant les civilisations jusque dans les prémices de leur expression artistique et démontrant le postulat suivant : la culture, c’est Disney. Il est d’ailleurs amusant de constater que si la culture populaire américaine du XXème siècle est fondée sur trois mythes principaux (le monde de Mickey, les super-héros et Star Wars), à l'exception de DC comics, tous sont tombés dans l’escarcelle de l'empire transnational.
Glénat, éditeur patrimonial des œuvres de Floyd Gottfredson, Carl Barks et Don Rosa, a fait un travail remarquable. Jugez plutôt : 512 pages, format carré 28x28, dos toilé, chaque pièce reproduite étant légendée simultanément en français, anglais et allemand.
Ne vous y trompez pas, même s'il se veut critique, L’art du Canard est à son corps défendant un livre de propagande. Et il est rudement bien fait.
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