« Une fois rien, c'est rien ; deux fois rien, ce n'est pas beaucoup, mais pour trois fois rien, on peut déjà s'acheter quelque chose, et pour pas cher. Alors, maintenant, si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien, rien multiplié par rien égale rien, trois multiplié par trois égale neuf, ça fait rien de neuf. »
Geoffroy Monde reprend a bon escient l'esprit du grand Raymond Devos dans un élégant album parlant, évidemment, de tout. Sous le couvert d'un absurde digne des grandes heures des Monty Python, le créateur de Serge & demi-Serge n'épargne personne, ose toutes les questions et s'aventure là où quiconque ne pouvait même pas imaginer qu'il y eût quelque chose.
Aphorismes graphiques astucieux, situations abracadabrantesques et dialogues savoureux, De rien rassemble diverses histoires courtes ayant toutes en commun un esprit ravageur on ne peut plus décalé. Moins ancré dans l'humour générationnel que Fabcaro, Monde emprunte une voie plus poétique, tout en partageant la même incompréhension vis-à-vis des étrangetés de la société. Dans le même temps, il ne s'agit pas d'un livre à charge : pas d'attaque frontale ni de critique acerbe, juste une succession de scènes complètement déjantées montrant le monde à travers une lorgnette de clown sous influence. À la surprise générale, le résultat fonctionne : des joggeurs se dopent à l'argenterie, Jackie Chan tente d'accéder au bar, Dieu fait une ou deux apparitions, les génies des lampes finissent en thérapie de groupe et un ange vous conseille d'éviter les toasts (ils ont l'air sec).
La mise en page ouverte, sans case ni réels décors hors des pages titres à la calligraphie soignée renforce l'atmosphère déphasée des récits. Les personnages s'agitent et s'interrogent sur un fond blanc laissant toute liberté au lecteur pour imaginer le reste. Ce vrai-faux minimaliste au rendu raffiné – les protagonistes sont montrés très précisément – renforce l'ironique jeu de miroirs (ou de dupes ?) entre réalité et fiction.
Inclassable et hilarant, finalement De rien porte on ne peut mieux son titre : l'auteur vous en est déjà gré.
Il s’agit d’abord d’un bel objet éditorial : couverture cartonnée, avec incrustation en relief, le tout assez sobre mais très classe. Bref du beau travail signé " Delcourt".
Par contre, je ne suis pas très fan d’histoires courtes en bandes dessinées. Ces saynètes m’ont parfois esquissé un sourire (surtout les dernières) mais sans plus. A titre de comparaison, j’avais préféré l’humour grinçant voire très dérangeant de la série Durandur parue entre 2005 et 2007
Je ne suis vraiment pas dans la cible de cette bande dessinée humoristique. Je reconnais par contre que le dessin est très soigné et va à l’essentiel mais je n’ai pas du tout accroché à ce côté absurde.
Dommage car le dessin complètement décalé en quatrième de couverture me donnait envie de lire ce livre.
Avec ce drôle d’OVNI, Geoffroy Monde a réussi à faire le lien entre deux approches a priori inconciliables, l’humour et le style. On emploie souvent le terme « décalé » pour qualifier un certain type d’humour branché. Ici, le terme s’applique également à la mise en page ainsi qu’au graphisme.
Tout commence avec le tirage. La couverture, elle en jette avec son titre en caractères néo-art nouveau imprimés en embossage. Trois couleurs noir, rouge, jaune, sur fond blanc. La classe. De jolies fioritures pour du « rien ». Mais « De rien », ça n’est pas rien. Une sorte de grand spectacle penchant vers le minimalisme, avec un titre terminatif en guise de présentation, et ce monsieur Loyal saluant le public avant le fermer de rideau. Au dos, une citation de l’auteur lui-même : « C’est par le langage de l’absurde que l’on peut le mieux évaluer et mettre en lumière l’écart tragi-comique séparant la nullité de signification du réel de la géniale boursouflure sémantique de notre monde. » Monsieur Monde use-t-il de ce vocabulaire sociologique un rien pompeux pour se rendre intéressant ou pratique-t-il le 45e degré ? En admettant la seconde hypothèse, c’est très habile et il est probable que les plus snobs tomberont dans le panneau, tout comme ceux qui croient qu’un cépage réputé et une belle étiquette font un bon vin… Autre décalage parmi tant d’autres, le chapitrage. Chaque saynète est introduite par une illustration en noir et blanc du lieu, vide de présence humaine et où est censée se dérouler l’action, avec à chaque fois le titre dans le même style art nouveau, tandis que les personnages, en couleurs, évolueront ensuite sans cases ni décor autour d’eux. Une trouvaille graphique originale, on pourrait presque dire, du grand art.
Le dessin enfin. Geoffroy Monde pratique la peinture digitale avec ce côté un peu lisse et froid, ici complètement assumé. Par un nouvel effet de décalage, ce parti pris arty associé à des dialogues absurdes, parfois triviaux, et des situations incongrues, est aussi amusant qu’inattendu, rappelant Goossens ou Pierre La Police, deux influences lunaires dont il se revendique avec Gotlib, en quelque sorte le père fondateur de ce genre d’humour.
Difficile de savoir si Monde cherche à se prendre au sérieux, mais après tout, peu importe. Cet humour particulier ne plaira pas forcément à tout le monde, mais l’auteur, en marchant sur les traces de ses aînés, réussit en même temps à produire quelque chose de l’ordre du jamais vu. Comme un monsieur Hulot qui viendrait perturber le sage ordonnancement d’une galerie d’art, moderne cela va sans dire.