Keziah Mason a vécu ici. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai choisi cette chambre. Peut-être n'aurais-je pas dû mais, je me suis tout de suite senti attiré par l'histoire de cette femme, cette « sorcière » dont la disparation fait encore parler dans le quartier, plus de 235 ans après. Malgré l'intense labeur que je dois fournir pour mes études, en mathématiques et physique quantique, je ne peux m'empêcher de réfléchir à ces légendes effrayantes et aux rapports que les sciences peuvent avoir avec elles. Peut-être, non, sûrement que cette vieille sorcière avait trouvé la clé ? Si c'est le cas je la trouverai aussi, quitte à y passer tout mon temps, de toute façon je ne dors quasiment plus mon sommeil est trop agité depuis que je vis là. Mais la solution est toute proche, je le sens, et les cauchemars que je fais pourraient certainement m'aider à y voir plus clair.
Mathieu Sapin n'a pas choisi le texte le plus connu dans l'œuvre du père du mythe de Cthulhu. Publiée en 1933, La Maison de la Sorcière ne rencontra pas un franc succès - doux euphémisme - mais contient certains des thèmes chers à l'écrivain américain : sciences, mysticisme, horreur. Pour cette adaptation en bande dessinée, l'auteur du Château débute par une introduction quelque peu abrupte : Plongé directement aux côtés de cet étudiant aux sens exacerbés, à l'état de fatigue avancé, le lecteur le découvre en proie à d'inquiétants troubles. Le décor se met lentement en place et ce n'est qu'une fois passée cette première partie - peut-être un peu trop verbeuse pour que l'immersion soit totale - que la récit prend toute son ampleur. Crescendo, le scénariste fait alors monter l'angoisse à mesure que les rêves de son personnage s'intensifient et que la frontière avec l'irréel devient floue. Mêlant des références aux autres écrits d'H.P Lovecraft (Necronomicon, Azathoth en tête) à la narration, l'atmosphère devient oppressante en même temps qu'il met en lumière les thèses de son protagoniste principal et l'épreuve finale.
Michel Pion l'accompagne pour mettre en image cette histoire. Son parti-pris graphique est audacieux mais colle parfaitement à l'ambiance. En effet, le trait semi-réaliste du dessinateur La porte de Brazenac reste reconnaissable, mais il est poussé plus loin. Plus nerveux, plus sec, il privilégie l'émotion et l'intensité des regards à l'exactitude des proportions. Le malaise qui se dégage des séquences dans la chambre permet de retranscrire avec force la confusion de Walter. De plus, le style d'illustration retenue pour les songes apparaît original mais se révèle judicieux ; des crayonnés appuyés, affranchis des cases, qui renforcent la sensation de désorientation et de stress. Sur le même rythme que le scénario de son compère, il fait monter la tension au fur et à mesure que leur héros prend conscient de ce à quoi il est confronté ou que les « gueules des trois » se dévoilent. Enfin, les couleurs de Walter Pezzali, bien qu'un peu ternes, viennent compléter à merveille cette impression malsaine et suffocante.
Adapter un récit de H.P. Lovecraft n'est jamais aisé. Si la mise en place peut paraître un peu lente, la seconde moitié ainsi les choix visuels finissent d'emporter l'adhésion pour faire de ces Mémoires dans la chambre de la sorcière une lecture stressante, bien dans l'esprit des livres de leur créateur.
Une adaptation d'une oeuvre de Lovecraft attire toujours mon attention.
Bon travail dans l'ensemble, les dessins sont bons et la mise en place de l'intrigue à l'époque actuelle tient la route.
J'ai apprécié les crayonnés sans couleurs des rêves du pauvre Walter.