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out en en apprenant plus sur les activité de Lanzana, Sasha reste obsédé par les sœurs Magdalena. Malgré leur différence, il n'arrive pas à se défaire de leur souvenir et espère les revoir très vite. C'est en partie pour cela qu'il continue ses petits boulots pour Tonio. Grâce aux extra qu'il lui propose et ce qu'il gagne sur le chantier, il pourra bientôt s'offrir les services des siamoises et ainsi faire vraiment leur connaissance. Et tandis que l'immigré ukrainien découvre les petits plaisirs de la vie américaine, tout en continuant de s'occuper des chiens, le ras-le-bol commence à gagner ses camarades travailleurs. Lafayette les motive même pour faire grève : pas de question de construire cette ville et de continuer à prendre tous ces risques sans un salaire décent.
Dans la foulée immédiate du premier opus, Régis Hautière replonge les lecteurs dans le bouillonnement dans ce New-York des années trente. L'histoire d'amour impossible du héros sert de fil rouge à cette immersion que le scénariste d'Abélard exploite pour décrire un contexte propice à tout genre de dérapages. Prohibition, chantage, prostitution et magouilles politiques sont autant de sources d'ennuis potentielles lorsque l'on flirte avec des truands. Au milieu de l'effervescence urbaine permanente, les tentations comme les opportunités sont grandes. Le savoir-faire du scénariste permet au puzzle de prendre forme, naturellement, avec beaucoup de fluidité, rendant inéluctable l'issue de ce périple en eaux troubles. Ce second tome est aussi l'occasion d'étoffer les personnages secondaires entrevus précédemment : les sœurs, Lanzana, Lafayette, tous révèlent leurs blessures, leurs failles, leurs secrets pour composer une fresque symbole de cette Amérique multiforme, déjà coupée en deux entre possédants et main d'oeuvre exploitée.
L'évolution du dessinateur est flagrante depuis L'étrange affaire du corps sans vie. Dans la continuité de ce qu'il proposait dans le tome un, son trait a encore gagné en maturité. Toujours aussi élégant, il devient plus lâché : les visages esquissés et les mouvements ébauchés lui servent à composer des planches de toute beauté. Les plans en plongée sur ce New York en construction, comme les vues sur les constructions sont une nouvelle fois très réussis et donnent une sensation de vertige assez remarquable. Mais le véritable point fort de ces dessins réside dans la colorisation. Informatique, elle n'en est pas moins maîtrisée et très travaillée. De nuit, sous l'orage, en intérieur sous divers éclairages, lors des scènes d'action ou plus intimes, chaque séquence possède une ambiance propre et met en avant le mouvement. Enfin, David François n'hésite pas à sortir de sa zone de confort, notamment dans le découpage voire le sens de lecture (page 36), pour appuyer un peu plus le dynamisme présent dans chaque planche.
Graphiquement abouti, cette seconde partie conclut en beauté le parcours américain de Sasha. Pour leur troisième collaboration, les auteurs offrent avec Un homme de joie un diptyque à la narration intelligente et à la mise en images de qualité, qui ravira leurs fans et séduira les plus hésitants.
Un 2nd tome qui conclue l'histoire de Sacha en préservant la tonalité du 1er opus : Un New York sombres et glauques, des personnages déchirés et une misère toujours omniprésente.
Le scénario tiens la route et les dessins somptueux quand il s'agit de planter le panorama de la ville sur de larges cases ne gâchent rien.
Bon diptyque au final, à découvrir !