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n 1880, Arthur Rimbaud travaille pour la maison Mazeran, Viannay, Bardey et Cie à Aden, au Yémen. Il y est surveillant du tri du café. Puis, il est affecté à la nouvelle succursale que la compagnie vient d’ouvrir à Harar, en Abyssinie (aujourd’hui l’Éthiopie). Il a 26 ans. Depuis cinq ans, il mène une vie itinérante en Europe et en Égypte. Depuis cinq ans, il n’a pas revu Paul Verlaine, avec lequel il vécut une liaison tumultueuse. Depuis cinq ans, il n’écrit plus. Il ne le sait pas, mais il deviendra le poète maudit par excellence qui influencera fortement les générations à venir.
Entre 1880 et 1891, année de son retour à Marseille, de son amputation et de sa mort, Arthur Rimbaud n’aura de cesse d’essayer de se constituer une fortune, pour ne plus avoir à travailler. Les succès seront relatifs ; les échecs cuisants. Les armes qu’il devait fournir à Ménélik (qui sera empereur d’Éthiopie) arriveront trop tard. Mais sous le prétexte de trouver de nouveaux marchés, Rimbaud va explorer inlassablement ce pays dans lequel peu d’Européens se sont aventurés.
Harar, Zeilah, Ogadine, Addis-Abeba, le lac Assal, Boubassa. Autant de villes et de territoires dans lesquels il va voyager, s’arrêter, qu’il va quitter, puis retrouver, dans une instabilité viscérale. On ne saura jamais ce que Rimbaud cherchait ou fuyait. Il ne le savait probablement pas lui-même. On évoque l’absence du père, l’autoritarisme de la mère, « l’idiotie » de Charleville-Mézières, sa ville natale. Ponctuellement, l’errance s’est structurée en exploration. Rimbaud a établi des cartes, rédigé des comptes rendus et envoyé le tout à la Société de géographie française, qui le publiera dans sa revue. Il réussit mieux dans la découverte que dans le commerce.
C’est la raison pour laquelle on retrouve l’auteur d’Une Saison en Enfer dans cette série Explora, qui a consacré des albums à des noms plus évidents, tels que Magellan, Marco Polo ou Alexandra David-Neel. Néanmoins, tous ces personnages ont en eux cette folie et cette flamme qui consistent à se confronter à l’inconnu, à braver le danger et à accroître les connaissances de notre civilisation. Rimbaud fut de ceux-là, en parcourant les pistes d’Abyssinie à pied, à cheval ou à dos de chameaux, dans des territoires hostiles, au milieu de populations belliqueuses, en apprenant langues et dialectes locaux, en adoptant le mode de vie des tribus rencontrées, en fixant par la photographie des paysages ou des individus.
De faits réels et avérés, Christian Clot, Philippe Thirault et Thomas Verguet tirent leur vision personnelle de l’itinéraire de Rimbaud, dans cette Abyssinie aride et encore peu colonisée. Le récit commence à Marseille avec le décès de l’explorateur et remonte le temps, via Valentin Bracq, personnage imaginaire qui incarne toutes les questions – et elles sont nombreuses – que l’on peut se poser sur cet homme hors du commun. Subtilité de l’écriture et finesse du dessin sont à la hauteur des mystères explorés et des interrogations suscitées. Un dossier biographique de huit pages, richement illustré, complète parfaitement cette lecture exotique, qui incite à plonger à nouveau dans la puissance des vers des Illuminations.
Arthur Rimbaud explorateur ! Voilà une partie de sa vie méconnue. Il fut cartographe en Abyssinie, mais aussi trafiquant d’armes pensant que cette dernière activité aurait pu l’enrichir. Il s’agit d’un personnage à mille facettes que cela soit de son époque où il fut poète ou de celle où il fut explorateur. Les quelques pages sur sa vie, en fin de livre, ne sont pas tendres avec lui. Mais lui-même l’était-il ? On peut en douter. Et pourtant, à la lecture du « Dormeur du val » ou encore de « Aube », on imagine un tout autre personnage. Sa vie, véritable roman, mériterait une série de plusieurs albums de bd. Alors, on est forcément un peu déçu que l’on nous offre que quelques bribes, mais il faut bien s’en contenter.