L
e couple que forment Samantha et Georges ne va pas bien. Elle est pétillante et veut un enfant ; il a peur de tout et estime que la Terre est suffisamment peuplée. Alors ils décident de quitter New York et de passer une année sabbatique dans le sud du Mexique. Direction Oaxaca, ville provinciale, au cœur de l’héritage historique et architectural des anciennes civilisations d’Amérique centrale et des traces laissées par les Conquistadores. Samantha a un livre à écrire ; Georges n’a rien de particulier à faire, si ce n’est d’apprendre à parler espagnol. Au même moment, un papillon monarque, célèbre pour sa migration annuelle du nord de l’Amérique vers le Mexique, prend son envol. Son périple accompagne métaphoriquement celui de nos deux personnages.
Mais Oaxaca est en révolte. La population accuse son gouverneur, Ulises Ruiz Ortiz, d’avoir truqué son élection, de détourner l’argent public à son profit et d’avoir mis en place un vaste système de corruption. La situation va se tendre, entraînant malgré eux nos deux New-Yorkais. L’écriture du livre est, elle aussi, dangereuse. Elle emmène Samantha vers des recoins de son passé qu’elle n’aurait pas forcément voulu mettre en lumière. Des personnages vont entrer dans la vie de Sam et Georges. Ces rencontres n’apporteront pas que du bonheur.
Peter Kuper, auteur de plusieurs romans graphiques et professeur de bande dessinée à New York s’appuie sur des faits réels, vécus par lui-même et sa famille pendant deux années passées à Oaxaca. Les actions répressives du gouverneur de l’époque avaient marqué les esprits : violence, assassinats, emprisonnements sans procès. Mêlant conflits sociaux, tensions privées et destin de papillons dont l’existence se résume à l’acte unique de migration, l’auteur livre une œuvre intelligente, sensible et esthétiquement superbe. Le récit est relativement avare de dialogues et ne comporte aucune didascalie. Le dessin quasiment seul suffit à rendre les situations et les émotions, et à faire surgir les interrogations. Peter Kuper dispose d’une large palette graphique. Il s’approprie l’iconographie des civilisations perdues et celle du Mexique contemporain. Il joue avec les codes, changeant son dessin selon le point de vue adopté. Entre explosions de couleurs et planches bi-chromatiques, il invite à un magnifique voyage au cœur de l’humanité.
Avec poésie, ironie, clins d’œil et émotion, Peter Kuper nous place comme spectateurs du quotidien d’un couple qui se délite, d’une ville qui sombre dans la violence, la soumission et la révolte. Mais, ponctuellement, un chapitre, une page, une case ou un dialogue vont se changer en miroir et nous renvoyer vers quelque chose de notre routine, de notre histoire ou de nos attentes. Il nous rappelle que nous avons tous une migration à effectuer, un livre à écrire et des ruines à explorer. Je recommande fortement cette œuvre à celles et ceux qui recherchent, à travers des récits intimistes, la poésie du quotidien, l’introspection et la confrontation intelligente aux choses de la vie.
Poster un avis sur cet album