1972, Hénin-Beaumont. À l'école Jules Michelet, les enfants ne parlent que de ça. Ça, c'est l'ouverture du Grand A, un hypermarché flambant neuf, installé au croisement des autoroutes A1 et A21 sur la commune de Noyelles-Gouault. Ligne de bus directe, parking immense, galerie marchande équipée d'un restaurant, articles divers et variés, en petit ou gros conditionnement : la grande distribution fait une entrée remarquée dans le quotidien des habitants de ces communes du Pas-de-Calais. Un véritable progrès pour tous les habitants à l'époque. Mais aujourd'hui, qu'en est-il ?
Afin de répondre à cette question (et bien d'autres), le duo de Noir Métal décortique l'éclosion et le développement de l'un des symboles de la grande distribution. Xavier Bétaucourt et Jean-Louis Loyer mènent une véritable enquête sociologique en alternant trois lignes de narration. Via des rappels historiques tout d'abord. Clairs et concis, ils reviennent sur la naissance du commerce et quelques-unes des mutations ayant jalonné l’avènement des centres commerciaux. Grâce aux flashbacks ensuite. Ils replacent les faits dans le contexte démographique et social des années 70 à 2000. Le lecteur devient alors témoin de l’évolution des mentalités comme des priorités des élus dans ce bassin minier aujourd'hui durement frappé par le chômage. Enfin, en donnant la parole aux acteurs, des fournisseurs et producteurs locaux au directeur du magasin, en passant par des salariés, des clients mais aussi des commerçants, les auteurs apportent un éclairage sur les raisons de ce succès, sans oublier de pointer les répercussions sur la ville et ses commerces de proximité.
Équilibrées, ces séquences donnent son rythme au récit sans noyer le lecteur sous les informations. De plus, en se dispensant de jugement politique, le scénariste réussit à garder la neutralité de ton nécessaire à son propos. Souvent avec humour, toujours avec bienveillance, il brosse le portrait d'une population devenue fataliste mais aussi d'une concurrence apathique qui a longtemps observé l'émergence de ce nouvel acteur avec détachement. Centre d'intérêt, poumon économique, terrain d'innovation, si le Grand A n'est pas seulement le « tueur de centre-ville » fréquemment montré du doigt, son rôle sur les mutations du secteur n'est pas minimisé.
Pour illustrer cette démonstration, Jean-Louis Loyer opte pour une colorisation hybride : bichromie pour les arrières plans, tandis que les intervenants sont en couleurs. La lisibilité s'en trouve renforcée. Si son trait doux ajoute à l'empathie ressentie pour la plupart des personnages, on peut toutefois regretter un manque d'audace dans le découpage ou les angles choisis.
Plus de 40 ans après l'arrivée du Grand A dans une région qui leur est chère, les auteurs dressent un bilan amer de la situation. Même si l'exercice se limite à un état des lieux, cette enquête documentée a le mérite de lever, à la manière du documentaire Tous comptes faits, le voile sur l'impact de l'hypermarché, bien au-delà de son secteur d'activité. On notera également l'apport en annexes de compléments d'informations. Judicieux et chiffrés, ils permettent d'apprécier cette influence et d'ouvrir la réflexion sur les enjeux actuels et les orientations futures.
Une BD avec des caddies en couverture... Intriguant.
Si son apparence n’est pas très sexy, avec des couleurs assez moroses, elle est pourtant d’un très grand intérêt.
On y apprend tout ce qu’il y a à apprendre sur l’hyper-marché d’Hénin-Beaumont (Nord) et ses enjeux à la fois socio-économiques, politiques, historiques et géographiques voir même psychologiques : périurbanisation, fuite des centres-villes, concurrence avec les petits commerçants, échangeurs autoroutiers, société de consommation, culture, fabrique commerciale du rêve, grande distribution et technique de la triple moulinette, fêtes commerciales, publicité, chômage, esclavage moderne, racisme, cassure des liens sociaux, tyrannie des transports, mobilisations et solidarité, faillite de la gauche, montée de l’extrême-droite... Un livre finalement d’une grande richesse.
A lire malgré l’austérité de son esthétisme.
Le grand A n'est jamais appelé par son vrai nom mais cela ne trompera personne. D'ailleurs, en guise d'annexe, on aura droit à des explications beaucoup plus détaillées qui ne laisseront plus de place au doute. On sait tous que la vraie vie a commencé à s'installer dans le Nord-pas de Calais où résidait son fondateur qui est aujourd'hui la quatrième fortune française. Le grand A sera synonyme de grand temple de la consommation jusqu'à satiété.
On entre dans les coulisses d'une grande surface à Hénin-Beaumont qui a la particularité d'avoir un maire d'extrême-droite. Il y a aura également beaucoup de politique pour nous montrer les liens entre le temple du capitalisme et ceux qui dénonçaient l'arrivée des hypermarchés dans la pure tradition poujadiste. On sait bien que tout cela n'était que de la poudre aux yeux pour tromper les électeurs qui d'ailleurs sont de parfaits consommateurs fiers d'arpenter les rayons de la vraie vie.
On va surtout découvrir les différents métiers entre les hôtesses de caisse, les vendeurs de rayon, les vigiles. Tout les sujets qui fâchent seront évoqués notamment la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh. Je dois dire que l'auteur a mené un très bon travail d'investigation. Il y a un véritable effort qui a été réalisé notamment par une introduction pour expliquer le commerce de manière assez historique et ses implications dans la vie des gens.
Il mange 195 jours de notre vie. En effet, 70% d'entre nous passent 1h20 par semaine à faire le plein dans les grands surfaces comme une sorte de rituel. Le grand A a fini par nous vampiriser au point qu'on ne se pose plus les bonnes questions. Ce reportage nous permet d'avoir les idées plus claires.