Y
ûko, dite "Mama", n'a que 25 ans. Elle s'attache les cheveux pour paraître plus âgée et plus crédible dans son rôle de tenancière de bar à hôtesses à Ginza, dans la banlieue de Tokyo. Malgré sa jeunesse, elle est divorcée depuis deux ans et a une petite fille, Asako, qu'elle a placé chez sa mère à la campagne. Régulièrement harcelée par son ex-mari, elle doit de plus gérer les excès de ses salariés, les indélicatesses des clients, son attirance pour Ken-Chan, son barman, et les problèmes financiers à l'aube d'une crise économique majeure.
Publié en 1970, le Club des Divorcés s'attache à décrire un phénomène en train d'exploser : celui des divorces. Mariés jeunes, divorcés jeunes. Sachiko en est à son sixième mariage et l'auteur s'amuse à créer ces petites saynètes de la vie quotidienne où, par exemple, Yûko croise un jeune couple en lune de miel, dont l'épouse va envisager le divorce dès sa nuit de noces. Kazuo Kamimura dépeint avec une précision clinique, fine et sensible son Japon de 1970 et ses femmes qui se débattent pour se libérer des réflexes acquis dans leur rôle d'épouses soumises et effacées. Il est assez déconcertant pour un regard occidental d'observer certaines réactions, comme lorsque Mama fait face à un client très entreprenant, lorsque Sachiko se pend dans l'indifférence générale (et encore, on l'accompagne en musique), lorsque les hommes sont fascinés par une femme qui mâchouille des glaçons, lorsque l'ex-mari veut apporter un présent à sa fille, etc... C'est d'ailleurs le personnage le plus touchant, ce Michio, un père modèle qui insiste pour verser une pension alimentaire, qui veut absolument voir sa fille par tous les moyens, aux dépends d'une convention sociale qui semble le dépeindre comme un horrible gêneur. Comme si en divorçant, il devait oublier son enfant. Il est là, omniprésent, jaloux, peut-être encore amoureux, mais indéniablement attaché à la petite Asako. Par effet-miroir, Yûko paraît comme une mère indigne, rejetée par sa fille qui refuse d'aller chez elle, mais prend le Shikansen pour retrouver son père. Tout semble s'acharner contre la Mama, qui ne se dépare pas de son sourire, toujours impeccablement sanglée dans son kimono qui la désigne comme une tenancière.
Le dessin est une merveille de classicisme, net, épuré, aussi précis qu'une ligne claire. Il enveloppe ses personnages dans une douceur, une dignité conférées par l'expression subtile des émotions et sentiments à travers un infime détail du visage. Chaque chapitre ou presque est scandé par un haïku, résumé par une image forte et symbolique, empreinte des codes du passé. Lors d'une fête se déroulant en costumes, le fantôme des ukiyo-e de jadis transparaît, belle synthèse entre le manga contemporain et l'estampe des siècles précédents.
Cette belle intégrale prévue en deux volumes présente une œuvre vieille de quarante-cinq ans qui semble n'avoir pris aucune ride. Le Club des Divorcés fait partie de ces séries atemporelles à ne pas rater, et petit détail d'importance, c'est le livre qui pourra être facilement mis entre les mains d'un lecteur de franco-belge réfractaire à la production japonaise.
Le club des divorcés raconte la vie d’une jeune divorcée dans le Japon des années 70. Cette société a connu assez rapidement la possibilité de rompre les liens du mariage à savoir dans la deuxième moitié du XIXème siècle mais le mouvement s’est poursuivi pour en faire une sorte de marque d’infamie pour les femmes.
Le club des divorcés est un café où tous les divorcés ont le droit de boire un verre le soir après leur travail afin de noyer leur chagrin ou leur honte. C’est un lieu convivial propice aux rencontres mais surtout au partage d’expériences. Ainsi, on devine aux motifs de séparations qui peuvent variés. Pour les femmes, c’est prioritairement le manque d’argent et accessoirement la perte du lien amoureux. Pour les hommes, cela peut être l’appétence sexuelle ou les beaux-parents.
Objectivement, cette bd sur ce tabou de la société nippone n’est pas à bannir. En ce qui me concerne, je ne suis pas entré dans le sujet car peu concerné. Je n’ai pas non plus aimé cette femme Yuko qui n’hésite pas à balancer un ballon du haut d’un immeuble en provoquant un accident de la route. Oui, j’ai eu peu de sympathie alors que l’auteur voulait sans doute l’inverse pour la montrer un peu espiègle. Ma morale et mes valeurs sont sans doute sans concession pour ce genre de divagation. Certes, les hôtesses de bar ont également des conditions de vie difficiles.
Sinon, juste un mot sur l’auteur Kazuo Kamimura qui est un grand mangaka au Japon mort prématurément à 48 ans en 1986. Il est l’auteur de La Plaine du Kanto mais également de l’œuvre qui m’avait un peu ému par sa nostalgie à savoir Lorsque nous vivions ensemble. On est loin de l’action. On est dans l’introspection d’un être humain avec ses douleurs intimes vives.
J’ai aimé par contre ces critiques contre l’aspect conservateur de la société japonaise des années 70. Et puis, on a plaisir à suivre la relation qu’entretient Yuko avec son barman.