Q
ue serait la vie politique française sans les « affaires », les scandales attisés par la rumeur et les petits arrangements entre amis ? Il est entendu que les compromis sont indispensables pour faire avancer les choses, mais quand ceux-ci se transforment en compromissions, la frontière entre bien commun et intérêts particuliers s'estompe dangereusement. Le 3 janvier 1975, le juge François Renaud est abattu devant son domicile lyonnais. Il était sur le point de mettre en lumière les étranges procédés de financement de certains partis. L'enquête sur ce meurtre n'aboutira à rien et ses dossiers disparaîtront dans la foulée. Bienvenue dans le Cher pays de notre enfance !
Benoît Collombat et Étienne Davodeau retournent sur les lieux du crime, interrogent témoins et historiens pour tenter d'éclaircir les dessous peu reluisants d'une certaine façon de gouverner durant les trente glorieuses. Leurs propos se tournent immédiatement vers les agissements de la Section d'action civique, plus connu sous son acronyme S.A.C. Cette association créée dans le but de défendre et de faire connaître la pensée et l'action du Général de Gaulle va rapidement se transformer en exécuteur des basses besognes du régime. Le genre d'ami qui est appelé à la rescousse quand le besoin de gros bras, voire pire, s'avère nécessaire. Intimement lié à l'appareil administratif, policier et judiciaire, le S.A.C. s’apparentait quasiment à une police parallèle au-dessus des lois. Mettre ses doigts dans sa mécanique était dangereux et, comme l'Histoire l'a montré à plusieurs reprises, pouvait se révéler mortel. Détaillées et incroyables, les conclusions auxquelles nos enquêteurs sont arrivés s'avèrent effarantes et dignes des pires dictatures.
Même si l'album relate des événements vieux de plus de quarante ans, la narration reste solidement ancrée dans le présent. Davodeau n'utilise pas la carte de la reconstitution et préfère laisser la parole aux hommes et aux femmes, acteurs plus ou moins involontaires de ces agissements. Pour certains de ces retraités, c'est la résignation qui domine : « C'était comme ça à l'époque ». Pour beaucoup d'autres, la colère et les regrets sont encore bien présents. Les bribes de souvenirs s'ajoutent aux pièces d'archive plus ou moins complètes et font ressortir de troublantes coïncidences. Au final, l'impressionnant travail journalistique prend le dessus (pour rappel, les deux premiers chapitres ont été pré-publiés dans la Revue Dessinée) et ne laisse que peu de place au dessinateur pour s'exprimer. Celui-ci ne s'en prend pas ombrage pour autant et dépeint avec beaucoup de justesse et une certaine espièglerie cette avalanche de révélations inquiétantes pour la santé de la démocratie.
Dérangeant retour sur un passé pas si lointain, Cher pays de notre enfance finit par poser plus de questions que de réponses, signe certain de la qualité de l'investigation menée par ses auteurs !
BD ? Inclassable. Mais prenante comme un bon policier, étonnante car révélatrice de beaucoup de choses sombres, et surtout très réussie. Chapeau
Il faudra une bonne journée et une bonne dose de concentration pour venir à bout de ce pavé. Pourtant, le nombre de pages n’est pas aussi impressionnant que cela. Ce sont les dialogues qui occupent totalement l’espace. On suivra le reportage mené par les deux auteurs. Il y a de nombreux témoignages à lire.
Il faut tout d’abord être intéressé par le sujet à savoir ce qui se cache sous la Vème République du Général de Gaulle. La couverture nous donne un peu le ton avec un président qui est taché de sang. Oui, nous apprenons que la 5ème république traîne également de gros boulets qui peuvent apparaître comme dérisoires si on les compare avec les nombreuses dictatures qu’il y a dans le monde. Pour autant, ce n’est pas une raison pour ne pas étudier les faits avec du recul. De là, peut-on réellement dire que la France a connu des années de plomb ? Il semblerait au vu de ce documentaire qui indique que cela a été soigneusement occulté.
J’avoue avoir entendu parler du SAC mais je ne savais pas ce qui se cachait derrière cette association loi de 1901. J’avoue également que j’ignorais que dans ma ville de Strasbourg avait été commis l’un des plus gros hold-up de l’argent public afin de financer le parti gaulliste au pouvoir. Oui, on regarde plutôt ma ville comme la capitale européenne ou la capitale de Noel. Je pense qu’il est bon de rappeler certains faits loin de toute caricature. La bd va s’intéresser notamment au meurtre du juge Renaud et au soi-disant suicide du ministre du travail de Giscard à savoir Robert Boulin.
Par ailleurs, cette bd vient de gagner le prix du public lors du festival d’Angoulême 2016. Les lecteurs ont apprécié dans leur ensemble cette œuvre richement documentée. Une lecture certes éprouvante mais salutaire pour bien comprendre les évolutions de notre République.
Ce gros volume est découpé en quatre parties et se termine par une post-face de Roberto Scarpinato, "le dernier des juges antimafia" (dont le texte n'apporte rien de plus que l'album). Les deux premiers chapitres ont été publiés dans la revue dessinée.
Attention album très important! Si beaucoup de documentaires nous enseignent sur des sujets plus ou moins majeurs et méconnus, le travail de Davodeau et Collombat se penche sur une période et un sujet relativement connu du grand public. Mais le détail de l'enquête, la précision des informations et témoignages délivrés donnent une réalité glaçante à des événements que les moins de cinquante ans (dont je fais partie) auront beaucoup de mal à imaginer comme réels. Le livre saisit par-ce qu'il parle de personnes qui ont exercé jusque tout récemment les responsabilités de l’État, par-ce qu'il parle de personnes tuées alors qu'elles officiaient à de très hauts postes, mais surtout par-ce qu'il ne parle pas d'Histoire mais de l'actualité presque immédiate... La France dépeinte est un régime mafieux aux méthodes fascistes. La couverture est à ce titre particulièrement provocante et pertinente: pas une fois le nom du général n'est cité alors que l'image éclaboussée qui présente l'album fait bien comprendre que le président était très logiquement informé de ces agissements.
Le premier chapitre de la BD traite de l'assassinat du juge Renaud alors qu'il avait établi des liens entre le SAC et des braquages destinés a financer le RPR. L'affaire sera reprise par le film d'Yves Boisset, lui-même agressé et menacé suite à film, et qui donne foules d'informations toutes plus sidérantes les unes que les autres. Dans un contexte de guerre d'Algérie et de mai 68, personne ne veut prendre le risque d'une déstabilisation de l’État si les liens entre pègre, SAC et administration étaient révélés.
Ensuite les auteurs détaillent les ramifications du SAC dans les administrations de l’État et le fonctionnement du régime gaulliste entre Françafrique, liens avec la pègre issus de la Résistance (voir l'excellent Il était une fois en France de Fabien Nury qui décrit bien ce "gris" qui posa tant de problèmes une fois l’État démocratique restauré à la Libération).
La troisième partie qui nous laisse sidérés, raconte l'utilisation du SAC par un patronat revanchard afin de surveiller, intimider, agresser les syndicalistes et globalement le monde ouvrier après les accords de Grenelle sortis de mai 68. On y découvre des pratiques de régimes fascistes où pouvoir politique, milices employant barbouzes, repris de justice voir militaires et pouvoir économique mutualisent leurs moyens pour casser du rouge. Si certains témoignages peuvent être sujets à caution, les croisements et le sérieux du travail d'enquête de Benoît Collombat ne laissent pas de doute sur la réalité de ce qui est décrit. Glaçant.
Vient enfin un très gros morceau, sur lequel le journaliste travaille depuis longtemps sur le sujet (il avait sorti une enquête en 2007): l'affaire Boulin, reconnue par toute la profession journalistique comme sans doute le plus gros scandale de ce Régime. Résultat de recherche d'images pour Relaté avec le langage du polar ou du reportage "pièce à conviction", le chapitre est totalement passionnant mais sans doute le plus inquiétant en ce que, contrairement aux parties liées directement au SAC et datées historiquement d'avant l'arrivée de la gauche (ce qui produisit un séisme dans ce milieu et un coup d'arrêt à un certain nombre de méthodes), cette histoire se prolonge jusqu'à aujourd'hui en impliquant un nombre incalculable de responsables de premier plan. Par respect du récit les auteurs attendent la fin de l'album pour répondre à la question que tous se posent: pour eux Chirac est le commanditaire de l'assassinat du ministre... Pourquoi le pouvoir mitterandien n'a-t'il jamais pu faire ressortir la justice? Cet État dans l’État était-il encore trop ramifié pour prendre ce risque?
On ressort abasourdi de cette lecture et à la recherche de tous les films, reportages et ouvrages publiés sur l'époque. Ce document devrait être présent dans tous les CDI et toutes les médiathèques de France et être lu à titre d'hygiène démocratique.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/06/10/cher-pays-de-notre-enfance
Très bon album. Aussi bien par la forme que par le fond. Voilà une bonne utilisation de la bd pour nous faire découvrir des faits historiques. Utilisation du duo de personnages cher à Davodeau sur le même principe que les Ignorants. Bd à compléter par la trilogie "le juge" relatent la mort du juge Renaud.
Excellente enquête sur deux assassinats, non résolus, de hauts fonctionnaires de l'Etat, dans les années 70. Les auteurs nous plongent dans "Les mystères de la Cinquième République" (clin d’œil à la série de fiction), sauf que là l'histoire est vrai et les personnages existent ou ont existé.
Très bonne analyse sur le SAC (Service d'Action Civique), véritable état dans l'Etat.
A lire pour les néophytes comme pour les spécialistes.
Ouvrage intéressant et éclairant.
Je n'ai pas réussi, moi non plus, à aller au terme de cet album.
Je me suis ennuyé, la forme ne m'a pas plu.
J'aurais préféré un récit chronologique, plutôt qu'une série de témoignages recueillis par un journaliste et un dessinateur de BD sur un sujet que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaitre (je le sais, j'ai 45 ans et le SAC ne me disait rien).
L'objectivité des auteurs est peut-être à remettre en cause (après tout, pourquoi ne s'intéresser qu'à ce SAC, un service d'ordre parmi d'autres, très en vogue dans les partis politiques et certains syndicats, autrefois ?), mais je manque de culture historique pour en juger vraiment.
Tout juste ai-je déjà entendu parler du SAC, et pas en des termes élogieux, dans un "faites entrer l'accusé", sur la tuerie abominable d'une famille entière par d'anciens membres de ce service d'ordre.
Je n'en sais pas plus.
Mais c'est le traitement sur la forme qui m'a ennuyé, plus que sur le fond (même si, encore une fois, ce sont les "gentils" socialistes qui dénoncent les actions des "méchants" de droite ; à croire que l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, les Khmers rouges et la Chine Communiste n'ont jamais existé et n'ont jamais commis aucun méfait dans le monde et dans notre beau pays...).
Ce qui aurait (peut-être) constitué un bon sujet d'investigation à la TV (de type "faites entrer l'accusé"), devient une ennuyeuse balade de discussions et de rencontres de témoins.
Je n'ai pas réussi à aller au bout, et aucun moment ne me revient, une fois le livre refermé.
J'ai pourtant lu des choses beaucoup plus difficiles à lire, plus touffues et sur des sujets dont je ne connaissais rien non plus, qui m'ont autrement marqué.
Par exemple, lisez plutôt "La pieuvre" de Gifone, Longo et Parodi, sur le combat de la justice italienne contre la mafia dans les années 70-80.
Bref, un album de BD raté, sur un sujet qui aurait mérité un autre traitement, plus ambitieux.
En fait, ce n'est pas une BD.
Par curiosité, et quand je ne les connais pas déjà, je lis les quelques titres BD primés à Angoulême. Et s'ils me plaisent, je les achète (c'est rare).
"Cher pays de notre enfance" est donc le prix du public... et c'est un livre que je n'ai pas fini, le refermant un peu avant la moitié. En fait, pour moi, ce n'est tout simplement pas de la BD. L'histoire raconté est intéressante, prenante, mais c'est un roman déguisé où les dessins ne sont là que pour faire passer l'ouvrage pour de la BD : on ne les regarde même plus, passées les quelques premières pages. En fait, ils ne sont là que pour indiquer qui parle (comme un "et Bidule dit alors", "puis Machine répliqua" dans les livres non dessinés). Ils ne servent en rien l'histoire, ils ne sont que des raccourcis narratifs.
Bref, j'ai l'impression d'être pris pour un couillon, dans le sens où on me fait croire que je ne suis pas capable de lire un livre sans image et donc on rajoute artificiellement des images pour m'accrocher. Pour le coup, ça a eu exactement l'effet inverse : j'aurai préféré lire un livre non dessiné sur ce thème, plutôt qu'une fausse bande dessinée.
Je ne le finirai donc pas sous ce format.
le sujet est bigrement intéressant, il est juste dommage que dès le début de l'album les enquêteurs et scénaristes affichent leurs penchant politique. Ce choix porte à mon avis sujet à l'objectivité du traitement du sujet. Pour lever tout doute sur une éventuelle partialité, il serait bien qu'ils enquêtent sur les années Mitterrand et la disparition douteuse de Pierre Beregovoy.
Excellent! Très beau travail de journalisme et de dessinateur!
Comme dit Judoc, ça fait froid dans le dos... Surtout quand on pense que ces événements qui se sont déroulés il y a 40 ans ont encore des faces cachées que certains de nos contemporains ne veulent pas voir ressurgir...
Je recommande +++
Une plongée dans les méandres de notre 5ème république qui fait froid dans le dos. Une enquête passionnante et très très inquiétante sur les pratiques de nos politiques à un moment ou l'on ré-ouvre (enfin) l'enquête sur le "suicide" de Robert BOULIN.
Une nouvelle fois un très bon Davodeau dans un nouveau registre (enquête politique), accompagné cette fois par un journaliste de France Inter (Benoît Collombat) au scénario.
Excellente BD que toutes les âmes "citoyennes" devraient lire !