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onathan A. a découvert la dive bouteille durant l'adolescence et ne l'a plus quittée depuis. L'alcool désinhibe le timide et rend fort le maigrelet, mais sa magie a un prix, un très lourd prix. Jonathan en est conscient, tente de se libérer de sa dépendance à plusieurs reprises, mais rechute invariablement.
« Ce livre est une œuvre de fiction où tout est presque vrai. » C'est ainsi que Jonathan Ames présente Alcoolique, sa première bande dessinée. Journaliste, écrivain et scénariste pour la télévision, Ames est un touche-à-tout de talent, un chroniqueur de l'air du temps et de l'âme (la sienne spécialement). Si la douleur et le désespoir dominent la narration, celle-ci ne sombre jamais dans le pathos. Le héros ne s’apitoie jamais sur son sort, il connaît les conséquences de son mode de vie, mais ne peut résister à l'appel d'un bon verre ou pire. Il se hait pour ça. Il sait également que ce recours systématique à l'ivresse cache des blessures plus profondes et, malgré de nombreuses tentatives pour se soigner (analyse, cure de désintoxication, etc.), il se contente simplement de survivre. Ce portrait-témoignage sans fard, mais pas sans humour, se lit avec un mélange d'effroi et de jubilation. En effet, si les affres de l'alcoolisme dominent logiquement, les moments de gaîté sous influence ne sont pas oubliés. Finement construit autour de nombreux retours en arrière, le récit est captivant, souvent drôle (plus ou moins pour de bonnes raisons) et implacable de par son honnêteté et son humanité.
Ayant travaillé pour Harvey Pekar et son American Splendor, Dean Haspiel avance en terre connue avec ce long monologue auto-fictionnel. Son travail s'avère impressionnant. Construction maîtrisée, découpage varié et une véritable attention pour les décors, sa mise en scène de cette existence chaotique est convaincante et rythmée. Plutôt que de jouer la surenchère, son style reste réaliste et ancre véritablement l'histoire dans un quotidien plus que tangible, particulièrement au petit matin, quand le narrateur se réveille avec une énième gueule de bois carabinée.
L'excellent travail d'édition de l'équipe de Monsieur Toussaint Louverture est aussi à mettre de l'avant. Sur bien des points (papier, reliure, impression), ce livre peut se comparer avantageusement à un tirage de tête.
Grâce à une écriture précise et un ton faussement désinvolte, Alcoolique offre une exploration pleine d'esprit et sans concession de cette addiction.
Peut-on savoir à l’avance qu’une œuvre ne va pas nous plaire à cause de son genre ? Je dirai que non à moins d’être un voyant ou de très mauvaise foi. Il faut dire que j’aime réellement tous les genres que cela soit dans le domaine de la bd européenne ou pas, du manga ou encore du comics. Il faut toujours se laisser surprendre dans la vie car c’est ce qui fait son charme.
Et là, je dois bien avouer que cette lecture m’a agréablement surpris. Si je m’étais limité au titre de cet ouvrage, je crois que j’aurais pris mes deux jambes à mon cou. Je n’aime pas trop ce qui est lié à l’alcoolisme et ses effets dévastateurs sur les vies des gens. Et pourtant, je suis entré tout de suite dans cette lecture complètement happé par une narration envoutante qui ne m’a plus lâché. C’est un processus assez bizarre en ce qui me concerne car je suis très vite gavé par les mots stériles. Mais là, rien de tel car c’est impeccable et rythmé. Depuis Le Sculpteur, un comics ne m’avait plus autant pris aux tripes. C’est une réussite totale sans complaisance, ni pathos.
On suit le parcours d’un jeune de 16 ans qui se cherche jusqu’à l’aube de ses 40 ans. C’est tout une tranche de vie qui aurait pu arriver à n’importe qui. D’ailleurs, on pourra retrouver des similitudes. Il y a tout d’abord ce meilleur ami qu’il perd petit à petit. Comment survivre à une telle trahison alors qu’il s’est construit avec lui ? Il fait partie de ces gens qui n’aime pas les groupes et qui préfère concentrer sur une amitié exclusive avec le prix à payer quand cela va mal. Et puis, il y a toutes ces femmes qui donnent le tournis au fil de son ivresse qui s’accentue. Bon point pour le héros qui va épargner ses parents et sa grande-tante de son état comme s’il vivait une seconde vie.
Mon regret concerne la fin car on aimerait tant savoir sur ce que le sort lui réserve. Cependant, on le devine aisément à la vue de la dernière image. Le démon de la boisson n’est jamais loin et il nous rattrape comme pour succomber à une maladie lente et sournoise. Tout cela est bien triste mais c'est bien le sort de la plupart des hommes dans un monde qui ne fait pas de cadeau. S’il n’y avait que la trahison de l’ami ou de la femme aimée ! S’il n’y avait que les accidents et la mort de proches que l’on perd définitivement sans pouvoir dire qu’on les aime ! Mais il y a encore les attentats meurtriers comme ceux du 11 septembre qui seront largement évoqués. On vit dans un monde ou prendre l’avion ou le métro ou même aller dans un concert peut s’avérer mortel. Comment ne pas sombrer dans le réconfort de la boisson ? Je suis arrivé à comprendre notre héros qui est dépassé par les événements mais qui essaye de se battre pour se maintenir. Qu’est-ce que j’ai aimé sa sincérité ! Bref, j’ai été touché en plein cœur.
Alcoolique a réussi à m’enivrer sans prendre un bon verre de whisky. La lecture de ce comics est comme une addiction. Je sais que dans mon cas, c’est incurable et que cela ne peut plus se soigner. Alors, il faut profiter de tous les moments présents pour explorer également les faiblesses de l’âme humaine et partir à la recherche de soi-même. C’est bien la lutte qui fait ce que nous sommes. Les auteurs ont tout compris et ont signé ici une œuvre très forte et même mémorable. Un véritable coup de cœur !
Note Dessin : 4/5 – Note Scénario : 4.5/5 – Note Globale : 4.25/5
Pas moins de sept années auront été nécessaires pour que The Alcoholic (Alcoolique) soit adapté en France. Monsieur Toussaint Louverture, jolie maison éditoriale, a eu la bonne idée de s’emparer de l’œuvre originale écrite par Jonathan Ames. Devenant pour l’occasion, un bel objet, Alcoolique est aussi attrayant dans le contenu proposé que pour sa couverture séduisante. En y ajoutant le trait sobre de Dean Haspiel, on obtient un équilibre parfait. Alcoolique est prêt à être dégusté.
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