A
vant d’être confié aux (bons, vraiment ?) soins d’un adepte des méthodes radicales de reconditionnement en blouse blanche, celui que la presse appelait Madder Red s’est offert un dernier coup d’éclat en forme d'ultime provocation. Il inonde les canaux télévisuels de sa menace de faire exploser des bombes cachées dans les affaires de six enfants d’écoles différentes. Le moyen d'empêcher ça ? "Si je ne suis pas mort d'ici une heure, vos petits le seront" déclame-t-il. Aujourd’hui, des années plus tard, Fillmore a abandonné son masque terrifiant et propose son aide à la police de Bedlam pour l’aider à trouver celui ou ceux qui sont à l’origine d’une nouvelle vague de meurtres.
Pour commencer, débarrassons-nous du zeste d’Orange mécanique mâtiné Freaks qui accompagne le traitement de choc infligé au tueur, de la rime Bedlam/Gotham amplifiée par la présence d’un grand malade à rictus surdimensionné et d’un dessin, pour stylé qu’il soit, pourra en refroidir plus d’un au premier coup d’œil. L’esprit ainsi allégé, il sera possible d’affronter cette nouvelle histoire de criminel hors norme qui souhaite servir (protéger, chaque chose en son temps...) la population qu’il décimait allègrement une décennie auparavant. Son esprit tordu en fera-t-il un excellent profiler et un apprenti-limier efficace ? Persiste-t-il un risque que son engagement soit seulement une façade pour mieux manipuler l’inspectrice avec laquelle il opère ? Pas question pour le moment de laisser les clés du commissariat à ce pervers qui semble repenti mais il sait se révéler efficace, même si la confrontation avec quelques esprits particulièrement dérangés semble constituer une de ses motivations essentielles.
Basé sur quelques joutes prenant pour cadre des interrogatoires où les protagonistes rivalisent pour dompter leur interlocuteur ou des conversations ayant pour but de surenchérir aux flots de propos érudits mais malsains, ce premier volet se lit attentivement. La scène d’ouverture installant le mass murderer (plus de deux mille morts au compteur !) dans son rôle de mégalomane jusqu’au-boutiste est atrocement savoureuse dans sa façon de manier le verbe et l’excès, au point de se dire que l’on tient peut-être là un méchant qui fera référence. Las, la suite revêt un caractère plus dilué. La présence d’un super-héros très lisse ou d’anges exterminateurs qui relèvent du cliché, tout comme la facilité qui consiste à exploiter une caricature d’ecclésiastique vicieux, laissent circonspect. La dimension « politique » insinuée lors d’une conférence de presse visant à inscrire l’œuvre de fiction dans un contexte d'actualité est, elle, plutôt bien exposée même si son caractère indispensable reste à prouver.
Le style graphique ne laissera à coup sûr pas indifférent. Soucieux d’installer une véritable ambiance, voire d’inspirer l’angoisse face aux coups d’éclat d’êtres ô combien retors, le dessinateur mise sur la variété des angles de vue et l’épure d’un trait rendu redoutable par une mise en couleurs spectrale . Le choix d’un style différent entre fil contemporain et flashbacks introduit une alternance bienvenue pour éviter la lassitude. Le masque, pièce indispensable au genre, sans être ébouriffant d’originalité, fait quant à lui son effet.
Bedlam permet aux Humanoïdes associés d’inaugurer son catalogue Comics avec un diptyque qui a du caractère, en dépit de l’emploi de quelques éléments aux accents déjà-vu. Le constat est fait une nouvelle fois du pouvoir de fascination, voire de séduction, qui peut émaner d’un type de personnage dangereux pour la société, aussi mégalomaniaques et violents qu'intelligents.
Le synopsis était alléchant, mais c'est encore mieux que prévu.
C'est noir, ça a du caractère et ça a une histoire.