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ans la nuit du 31 juillet 1761, en suivant une trajectoire hasardeuse afin d'éviter une saisie - suite à une famine endémique, le trafic de bois d'ébène été interdit dans la colonie française - le navire négrier l'Utile s'échoue contre un banc de sable et sa structure éclate, libérant sa cargaison frauduleuse dans les flots. Blancs comme noirs, en état de choc, les survivants rejoignent un îlot stérile perdu au milieu de nulle part. Commence donc une longue et pénible cohabitation entre les Français et leur marchandise.
À travers les yeux de Tsimiavo, gamine malgache d'une dizaine d'année, Sylvain Savoia met en lumière un épisode particulièrement veule de l'histoire de la traite négrière, qui, lorsqu'il sera connu en Métropole, servira d'exemple à charge pour les abolitionnistes. Privés de ressources alimentaires, à 500 km des côtes, loin des trajectoires maritimes, les naufragés sont condamnés à une mort certaine. Et malgré le danger, la solidarité n'apparaît pas comme une évidence. Aux yeux des marins, les nègres restent des objets, des sauvages juste bons à être exploités et non pas des humains avec qui collaborer pour survivre. Viols, vols, exécutions sommaires, ceux qui professent un dieu d'amour, compatissant et juste, se comportent comme des démons. Parvenant tant bien que mal à construire un navire à partir de l'épave en soudoyant les esclaves, les Européens quittent le bout de terre en promettant de revenir les sauver. Le désarroi est permanent dans les âmes des captifs, depuis la première page, lorsqu'ils sont emmenés et entassés dans la cale, sans lumière et pour une destination inconnue, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent libres sur cet enfer corallien au milieu de l'Océan Indien. La mort frappe, en commençant par les plus jeunes. Qu'ont-ils fait pour être condamnés au supplice ? Pourquoi les ancêtres les ont-ils abandonnés ?
Le récit s'entrecoupe de séquences contemporaines où l'auteur se met en scène dans sa participation à l'exploration archéologique du site. Ces intermèdes ont un intérêt documentaire inégal, d'autant plus qu'un cahier technique de 13 pages très bien sourcé donne la part belle à l'Histoire, et contribuent à alourdir une narration déjà exigeante. Véritable Koh-Lanta du XVIIIe siècle, la survie est souvent pénible à exposer lorsqu'il n'y a pas de défis factices et de rebondissements surjoués. Le temps qui s'écoule semble infini lorsque chaque seconde est une lutte contre la mort, et le scénariste n'évite pas l'écueil du pathos en ajoutant des états d'âmes inutiles. La réalité sordide se suffit à elle même, et la grandeur qui surgit de ces "oubliés", capables de conserver un comportement civilisé contrairement à leurs maîtres, suscite le respect et l'admiration au delà des siècles. Auteur complet, Sylvain Savoia drape son épopée dans une ligne claire illuminée par le soleil implacable des tropiques. En opposition avec les bleus du ciel et de la mer, le camaïeu d'ocres rend parfaitement la sensation de désolation de l'endroit battu par les cyclones : sol sec imprégné d'eau de mer, végétation rare et immangeable.
Réaliste jusque dans la restitution du sentiment d'immuabilité, les esclaves oubliés de Tromelin offre un approche proche du documentaire à une tragique histoire de survie.
Pour une fois, je connaissais assez bien cette histoire sur les esclaves oubliés de Tromelin. La même mésaventure est arrivée sur l’île de Clipperton à la suite de la révolution mexicaine au début du XXème siècle. Le calvaire avait duré 3 ans. Par contre, sur l’île des sables, les rescapés ont attendu 15 ans. Sur les 90 rescapés, huit survivants seront sauvés.
Le terrain est plat et sablonneux et souvent balayé par le vent. En cas de tempête, il n’y a pas d’abris. Il n’y a pas un cocotier. Cela démontre le véritable courage de ces gens qui ont dû lutter pour leur vie dans des conditions épouvantables. Les blancs ont laissé les malgaches sur l’île alors que ces derniers avaient activement participé à la construction d’un nouveau navire. Pour une raison politique (refus d’un gouverneur), on ne les a pas secourus par la suite.
Je n’ai pas trop aimé la partie actuelle sur l’expédition archéologique menée de nos jours. Cette mission avait pour but de fouiller l'île à la recherche des traces des naufragés dans le but de mieux comprendre leurs conditions de vie pendant ces quinze années. Il y a l’utilisation d’un récit parallèle. Inutile de préciser que c’est la partie historique qui captivera l’attention. L’auteur aurait pu simplement évoquer cette recherche dans l’introduction et la conclusion car mise à part la folie supposée de l’un des membres, il ne se passe pas grand-chose. Cela reste surtout un documentaire fort instructif sur la manière dont ces personnes ont pu survivre.
Au final, c’est une œuvre qui est très belle car elle part sur une histoire tragique qui a été également oubliée. La mémoire sur l’esclavage ne doit pas faiblir afin d’éviter une forme d’esclavage moderne comme le traitement réservé aux femmes dans certains pays. On estime à 27 millions le nombre d’êtres humains asservis dans le monde moderne. Il est clair que cet épisode pour le moins malheureux a servi la cause anti-esclavagiste. Au-delà de cet aspect, c’est une formidable leçon de survie à des années lumières de Koh-Lanta.
Un drame de l'histoire raconté sous deux angles originaux. Le quotidien de ces hommes et femmes "oubliés" sur ce miniscule îlot de l'océan Indien au XVIII ème siècle et celui, de nos jours, d'une équipe d'archéologues, venu chercher des informations sur cette tragédie humaine.
Les dessins sont précis et soignés, l'album est passionnant tout comme le dossier qui conclue l'ouvrage.
A découvrir !
Sylvain Savoia mêle adroitement une reconstitution du naufrage d'un navire sur un îlot perdu au milieu de l'océan indien et le récit deux siècles plus tard d'une expédition scientifique chargée d'en retrouver les traces. Une lecture instructive et passionnante.
3,5/5
Cette BD est une vraie performance. Comment développer une histoire de plus de 120 pages avec un scénario aussi tenu: un bateau qui s'échoue sur un minuscule atoll, l'équipage blanc s'en sort après quelques mois, laissant les noirs sur l'île.
Le génie de cette BD est de marier cette histoire vieille de 200 ans, et les recherches archéologiques en 2008. Cette 2ème histoire peut paraître un peu technique et laborieuse par moment, mais l'ensemble est plutôt réussi.
Quant aux dessins, le style un peu simpliste colle parfaitement au rythme narratif.
Un très bon moment...
Récit croisée de l'expédition de fouille de 2010 et de la survie des naufragés de 1761, cette BD fiction documentaire fonctionne très bien, sait créer l'empathie pour les deux époques et respecte l'histoire. Bref du tout bon très bien mis en image, à ne pas rater.
Venez vous échouer sur l'île de Tromelin et revivez sa dramatique histoire. Ce n'est pas une BD conventionnelle qui nous est proposée ici, mais bien le récit d'une tragédie. Une réelle découverte au milieu de notre peu glorieux passé colonialiste.
Si le propos est hautement intéressant, le dessin et le découpage ne sont pas en reste et collaborent étroitement à nous livrer l'intimité de ces valeureux naufragés. A découvrir.
SUPERBE !!! De la BD-témoignage, servie par un dessin bon sans être extraordinaire, mais qu'importe. Historiquement passionnant, émouvant au possible, ce mélange de BD historique (à peine) romancée et de témoignage d'expérience de vie contemporaine m'a totalement séduit. Que du plaisir. Je recommande absolument et sans aucune réserve.