D
’abord, il y a Mario. Un minuscule quidam aux bésicles imposantes, craintif et timide, perdu dans sa boutique de pianos au cœur de la cité. Puis son meilleur ami, un manchot. Le genre palmipède austral, hein, car pour ce qui est de tâter du clavier, l’animal est un vrai virtuose. Ensuite, vient la famille. Des cousins, des oncles, tous plus ou moins louches, interlopes, affidés du crime organisé. Et, enfin, il y a Enzo. Un neveu et, néanmoins, le parrain du clan mafieux. Détail piquant, ce jeune surdoué du crime n’est encore qu’un enfançon, poupon joufflu et replet, un chérubin à peine sevré. Lorsque celui-ci confie une mission à Mario, ce dernier y voit enfin l’occasion de s’affranchir de son trac et de séduire la belle Bérénice, charmante lutteuse au sein de la République du catch, guilde chargée de l’organisation des combats sur tous les rings de la ville.
Las, la mission est un piège, et une poursuite échevelée s’engage : guet-apens, embuscades, pugilats, batailles rangées, cris et piano forte, catcheurs costumés, fantômes réprouvés... un bestiaire rocambolesque se déchaîne au gré des 220 pages de cet étonnant récit. Ami lecteur, tu l’auras compris, laisse ton esprit cartésien au vestiaire, abandonne toute logique, dépouille-toi de tes derniers oripeaux de rationalité, seules l’inventivité effrénée et la fantaisie débridée ont encore cours ici. Un imaginaire absurde qui est depuis longtemps la marque de fabrique de Nicolas de Crécy, avec ces mégapoles baroques mêlant gratte-ciels et vieux quartiers, ces personnages pittoresques, ces situations loufoques, cette poésie fantasque…
Paraissant simultanément en Europe et au Japon, cet ouvrage inclassable a fait l’objet d’une prépublication dans un magazine de manga, et l’auteur s’est conformé à ce média en jouant sur le rythme de l’intrigue – découpage dynamique, séquençage nerveux – pour coller davantage aux codes narratifs nippons, et en adaptant son rythme de travail – dessin jeté à la plume, rehaussé de lavis – pour suivre le tempo mensuel de parution. Malgré ces contraintes, le trait reste caractéristique, entre réalisme et caricature, onirisme et humour jubilatoire, avec toujours cette folle créativité dans le traitement des décors, des architectures… Mention spéciale à l’exubérante raffinerie tentaculaire, luxuriante, servant de refuge aux fantômes. Quelques hommages aux classiques (la voiture immergée de Tillleux, l’Agagax de Poirier, des réminiscences de Miyazaki) achèvent de donner sa pleine dimension à ce brillant exercice de style, cet improbable et bouillonnant poème surréaliste empli de folie et d’ardeur.
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