Bumf 1. Vol. 1

A rtisan du comics underground des années 50/60/70, Joe Sacco a su développer pendant toute sa carrière un art unique du journalisme en bande dessiné. Critique noir et cynique qui pose sur le monde un regard désabusé, son métier l'a mené aux quatre coins de la planète pour y dessiner la misère humaine. Après ses livres sur la Palestine, ses reportages sur la Bosnie, Joe Sacco revient à ses amours de jeunesse : l'underground loufoque.

Au commencement, Dieu créa le ciel et la Terre. Or, la Terre était informe, et vide ; les ténèbres couvraient l'abîme. Et l'esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Et Dieu dit alors : "Que la lumière soit." Des millénaires plus tard, force est de constater que cela a sacrément dérapé : pollution, violence, pauvreté, corruption. C'est dans ce contexte particulier que le capitaine d'aviation Joe Sacco, de l'escadron 617, est amené à bombarder Téhéran. Fort heureusement, son statut d'auteur de roman graphique est rapidement découvert et le voilà redevenu simple soldat. Il est l'assistant d'un colonel moustachu qui, pour défaire l'ennemi teuton, a décidé de « b***** le kaiser » et tous ses hommes. Dans cette optique il vit nu, prêt à en découdre.

Bumf est une plongée sans concession dans l'enfer des sentiments refoulés de l’Amérique, mêlant absurdité total, expérimentations scénaristiques et introspection. Ce portrait au vitriol fait revivre l'art underground dans tout ce qu'il a de plus rafraîchissant, laissant de côté tous les codes et les principes moraux ou commerciaux. La progression du lecteur dans cet univers se fait avec peine, tant la déconstruction du récit pèse sur ses héros. Le côté "méta" du volume, phénomène à la mode depuis quelques temps, se mêle harmonieusement au trait noir et blanc de Sacco, pour donner un hybride rétro-contemporain à peine déchiffrable, mais d'où un véritable talent humoristique émane, ainsi qu'un véritable et honnête diagnostic désespéré sur le demi-siècle écoulé. Cette compilation de décennies de réflexion, présentée pour la première fois en VF, rappelle d'où a émergée la nouvelle vague du comics pendant les 80's, et qui a facilité l'ouverture de ce média à des thèmes et des artistes différents.

Et ce n'est rien de le dire, Bumf n'est pas seulement différent, il est rare. Un ovni à ne pas mettre dans toutes les mains, tant la dépravation, l'hypocrisie, la cupidité y côtoient un langage artistique obscur et personnel, réservé à un public averti. Bumf peut se traduire par papier toilette : il aurait fallu commencer par là.