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ette réédition logique de L'Innocente dans la collection Signé fait suite à la parution de Les Nouveaux Temps et Après Guerre (dans laquelle Nina fait une courte apparition), deux excellentes histoires ayant également les conséquences de la guerre comme sujet central. Originellement publié dans (A SUIVRE) en 1990, cet album explorait déjà la même problématique : comment s'ajuster et reprendre un semblant de vie normale après avoir côtoyé l'innommable. Le récit s'articule autour de Nina, une jeune femme allemande qui, après avoir été sélectionnée par les autorités nazies comme future génitrice de la race supérieure, est entraînée dans les événements prenant place juste après la fin du conflit. Elle va rapidement apprendre, souvent de manière très brutale, que toutes les bonnes volontés ne sont pas gratuites, aussi bien chez les libérateurs du moment que chez les résistants d'hier. Warnauts et Raives dressent ici un double portrait sans concession d'une âme perdue et de la transition de l'Allemagne ravagée entre la Libération et le début de la Guerre Froide.
Techniquement, ce roman psychologique se révèle d'une construction ambitieuse, mais toujours très maîtrisée. Signe de fabrique du duo, le scénario est marqué par de nombreuses et audacieuses ellipses temporelles. Le lecteur retrouve année après année une héroïne qui change et s'endurcit petit à petit. Malgré un côté un peu mécanique hérité d'une prépublication par chapitre, cette approche permet d'obtenir un panorama réaliste de ce personnage. En effet, c'est le temps qui forge les identités et, fréquemment, un incident parfois anodin n'aura des conséquences que beaucoup plus tard. Grâce à ce travail sur la longueur, les auteurs arrivent à cerner leur personnage avec intensité et profondeur.
Pour illustrer cette étude toute intérieure, les dessinateurs ont mis sur pied une impressionnante reconstitution historique. Au-delà des costumes et des engins, ils restituent l'atmosphère même de ce Berlin dévasté, aussi bien physiquement que moralement : l'installation des libérateurs, suivie de l'inévitable découpage en secteurs de la ville, les trafics, la montée des idéologies et, en guise de bande originale, le jazz, dont les notes ont tant bercé cette période.
Doté d'une grande force évocatrice, L'Innocente met à profit une thématique rarement mise en avant et offre une lecture à la fois grave et enrichissante.
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