L
'une commence sa vie en prison, l'autre la termine. L'une est belle, légitime, catholique ; l'autre est bâtarde, laide et protestante.
L'Histoire les oppose pour un même trône et Nicolas Junker s'est offert le pari de mettre en miroir ces deux figures féminines du XVIe siècle dans un diptyque sous forme de palindrome : jeux de cases et de mots qui se reflètent autour d'une double page centrale commune. Même si l'exercice n'est pas celui d'un historien, l'auteur a compulsé de nombreuses sources qui accréditent l'exercice. Le ton est à l'avenant du graphisme : décalé, moderne et dynamique. Un dépoussiérage qui rappelle l'insolence et la crudité d'un Jean Teulé.
Paradoxalement, les deux héroïnes transparaissent sous un angle inattendu, toujours dans un parfait parallélisme. Élisabeth, traditionnellement froide et calculatrice, affiche un débordement permanent d'émotions. Rares sont les cases qui ne la montrent pas en train d'exploser de rage et de frustration. Et Marie, la passionnée, reste stoïque à tout instant, rien ne lézardant son masque de madone de cire, véritable icône de la royauté. Élisabeth manigance, intrigue, enfermée dans le silence pesant de son palais, alors que sa rivale, cuirassée de fer, chevauche les landes à la tête de ses troupes. L'une lutte contre la pression de ses conseillers pressés de la faire se reproduire telle une pouliche de grande lignée, l'autre puise sa liberté en se défaisant de mari et amants encombrants. Toutes deux n'ont qu'un point commun, être des femmes de pouvoir dans un monde d'hommes. L'ironie de l'Histoire les réunira à la fin, dans une pirouette moqueuse : la Vierge cédera son trône à la descendance de la Putain.
Ici, il y a plusieurs lectures possibles. La première consiste à ouvrir un tome, puis l'autre, pour découvrir successivement les biographies de Marie Stuart et d’Élisabeth I ainsi que leur affrontement mortel et savoureux à la fois, avant de parcourir à nouveau l'ensemble dans l'autre sens pour redécouvrir les détails semés ça et là. La seconde lecture repose sur une incroyable gymnastique qui exige de poser les deux ouvrages l'un au dessus de l'autre et de les lire de façon inversée pour faire correspondre images, dialogues et situations dans un jeu de miroir trouble et vertigineux : effet garanti.
Avec La Vierge et la Putain, Nicolas Junker réalise une véritable prouesse pour aborder un sujet passionnant mis en valeur par un rendu artistique époustouflant, sous la forme d'un doublet qui sort vraiment de l'ordinaire.
Un tour de force à tous niveaux que cette œuvre en deux volumes se répondant graphiquement et historiquement parlant... on sent un léger parti-pris de l'auteur pour l'une des protagonistes, mais c'est là chose normale pour un historien de formation... un coffret appelé à devenir un classique...