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n bateau approche de la terre de Colchide, certainement des fous, mais sûrement condamnés. Ce sont les quatre neveux de Médée, que leur grand-père a envoyés à la mort, qui sont de retour avec tout un équipage, et pas n'importe lequel : Les Argonautes, menés par Jason d'Iolchos. Celui-ci veut la Toison. Le Roi s'en amuse. Si Jason arrive à dompter l'un des taureaux qui rôdent autour du trésor, alors il aura ce qu'il demande. S'il échoue, ses compagnons seront sacrifiés. Bien sûr, il devra au préalable révéler où il a amarré son navire. Calciopée craint pour ses enfants et pour cause, car Aiétès ne tiendra pas parole : il a déjà une première fois échoué à se débarrasser de ses petits-fils, il n'a pas l'intention de laisser passer une seconde occasion. La sorcière entre en jeu.
Le premier volume posait les fondations du mythe : une enfance heureuse sur fond de folie familiale. Le Couteau dans la plaie aborde le moment où Médée trahit les siens pour les beaux yeux d'un étranger. Et c'est là que Blandine Le Callet met fin à cette image de nunuche tombée passionnément amoureuse d'un bellâtre et prête à tout quitter pour un échange rapide d’œillades. Non, une raison logique impose à Médée d'agir ainsi et de devenir une paria. Au contraire, son geste rejoint le sacrifice d'Iphigénie et se révèle un exemple de piété filiale et de fidélité. Certes, elle a un coup de cœur pour le mauvais gars, mais quelle adolescente, quelle femme pourrait lui jeter la pierre? C'est la grandeur des mythes grecs que de poser les jalons de la psychologie moderne qui y puise ses paraboles et la nomenclature de ses pathologies. La jeune fille tente de fuir une famille toxique en tombant dans un amour du même genre, tout aussi dangereux. Elle obtient par chantage de devenir l'épouse de Jason. Les signaux d'alerte sont là : la prestance et le charisme sont illusoires, l'homme est menteur, lâche et sans pitié, il la considère comme une barbare, presque une bête. Et malgré les premières atrocités qu'il lui impose, elle se soumet et commence ainsi à se faire happer par les mécanismes pervers de l'enfer conjugal. Que dire sur le dessin de Nancy Peña ? Toujours aussi riche et majestueux, il enveloppe le drame dans du brocard et des jeux de drapé, un écrin luxueux digne du symbole qu'il met en exergue. Les couleurs des intérieurs, pourpres, sombres, suggérant l'étouffement et l'angoisse qui montent, s'opposent aux bleus aériens des extérieurs, à la liberté à laquelle aspire l'héroïne.
Magnifiquement illustré, le Couteau dans la plaie est l'instant où tout bascule. Ou comment une femme brillante, généreuse et puissante, va se perdre dans une union destructrice...
De Sénèque à Laurent Gaudé, en passant par la version magistrale de Jean Anouilh, nombreux sont ces hommes qui ont sublimé la terrible Médée sous leur plume. Après un premier tome très prometteur, le duo féminin Pena & Le Caillet confirme son talent. Quand l’une conte à merveille chaque temps fort de cette célèbre histoire, l’autre offre une jolie présence aux personnages, faisant de Médée un être lumineux qui sort doucement de l’ombre, quitte à ce que cela se fasse dans un bain de sang. La version de Blandine Le Caillet s’autorise d’ailleurs quelques libertés: Médée, habituellement si cruelle, s’octroie une part d’humanité dont on l’a trop souvent amputée au fil des siècles.
La chronique complète: https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2015/02/04/le-couteau-dans-la-plaie-t2-medee-pena-et-le-caillet/