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idèle à ses préoccupations artistiques, Jirô Taniguchi propose une histoire intimiste sur fond de Japon rural dans Elle s'appelait Tomoji. Le récit suit les jeunes années, de sa naissance à l'âge adulte, d'une femme. Une vie simple et modeste, comme c'était le cas pour la majorité des Japonais durant l'ère Taishô (1912 – 1926). En plus d'offrir un minutieux portrait d'une âme nipponne, l'auteur de Quartier Lointain dresse un tableau saisissant d'un coin de son archipel, alors que la modernité pointe timidement le bout de son nez.
Initialement prévu comme un hommage au célèbre temple bouddhiste fondé par Tomoji Uchida, le récit a rapidement évolué vers la biographie imaginaire de celle-ci. En se concentrant sur l'enfance de son personnage, Taniguchi tente de mettre en lumière les racines de cette destinée en utilisant les outils narratifs qu'il affectionne tant. Qu'il s’agisse de drames (décès, catastrophe naturelle) ou de moments plus festifs (un bon repas, des retrouvailles), le scénariste montre sans montrer et effleure avec légèreté les sentiments de ses protagonistes. Son génie de l'écriture et de la mise en page font le reste. La lecture est fluide, reposante, profonde et immanquablement juste. Ça ne fait aucun doute, cette œuvre est le fruit d'un artiste au sommet de son art.
Malgré tout, la sur-utilisation de certains motifs déjà vus dans des titres antérieurs (particulièrement Le journal de mon père) se fait remarquer. Ce petit bémol, que seuls les fins connaisseurs du créateur du Gourmet Solitaire remarqueront, n'enlève évidemment rien à la qualité et à la finesse de l'album. Véritable concentré de l'humanité de « l'Homme qui dessine », comme l'a surnommé Benoît Peeters, Elle s'appelait Tomoji offre un excellent moment introspectif à l'élégance rare.
Elle s'appelait Tomoji. Elle n'avait pas 3 ans quand elle perdit son père. Elle n'avait pas 9 ans quand sa mère l'abandonna avec sa petite soeur qui mourut quelques temps plus tard. C'est sa grand-mère qui l'éleva au milieu de la campagne.
Pour une fois, Jiro Taniguchi nous brosse le portrait d'une femme courageuse qui n'hésite pas à se retrousser les manches pour travailler et affronter les difficultés de la vie. Son bonheur va arriver quand on lui impose un mariage avec un homme qu'elle va aimer.
La trame est très classique. C'est un récit très simple voire banal qui s'écoule au fil des années. Il manque vraisemblablement une certaine épaisseur au personnage dont la psychologie n'est qu'effleurée. La chronologie semble tout vampiriser. On est loin des sommets atteint par Quartier lointain ou Le Journal de mon père.
Cependant, on retrouve toujours cette même douceur de vivre qui fait la marque des mangas de Taniguchi. Les planches sont toujours de haute qualité. Il manque juste un peu de piquant. C'est trop vertueux dans une vision totalement bien-pensante. On sait que la réalité est fort différente.
On rentre doucement dans cette histoire simple et au ras de la vie quotidienne, et petit à petit on est gagné par l'émotion, par la douceur des caractères, par la beauté des paysages, et on doit les quitter à regret. Taniguchi est vraiment le génie du quotidien, ici toujours au sommet de son art.
Ne ratez pas la découverte de Tomoji.
Jirô Taniguchi prouve une nouvelle fois sa capacité à faire de belles histoires de quotidiens pourtant simples et sans rebondissements extraordinaires. Le récit d'une vie devient alors une lecture agréable et reposante, en partie grâce au dessin toujours fidèle à lui-même de l'auteur.
"Elle s'appelait Tomoji" m'a malgré tout moins touché que d'autres récits tels que "Le journal de mon père" ou "Un zoo en hiver", eux aussi dépourvus d'éléments fantastiques. Le scénario y est à mon avis un peu plus plat, et l'émotion moins présente au fil de cette succession de deuils. Mais cette lecture ne m'a pas non plus déplu et elle a le mérite de permettre la découverte du japon au début du vingtième siècle. La thématique de mariage arrangé mais potentiellement heureux m'a également fait réfléchir.