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ublié dans le cadre du bicentenaire de la naissance d'Anthony Trollope (1815 - 1882), Courir deux lièvres (adaptation de John Caldigate, originellement paru en 1879) reprend les principaux éléments du roman victorien. Le héros, fuyant quelques déboires de jeunesse (dettes, relations difficiles avec son père), part chercher fortune en Australie. Quelques années plus tard, il reviendra riche pour se marier dans son monde, mais son passé continuera à le hanter. Dans l'Angleterre du XIXe siècle, on ne badinait pas avec l'honneur et les apparences. Utilisant des recettes éprouvées, Trollope, écrivain star de son époque, raconte les mœurs de la haute société anglaise, pimente son propos d'exotisme (l'aventure dans les lointaines colonies pleines de richesses pour qui sait les trouver) et, a posteriori, dénonce sans le vouloir certains travers de son temps.
Volontairement fidèle au texte d'origine, Simon Grennan a choisi une approche radicale pour sa version dessinée : découpage austère en moule à gaufres, utilisation ad nauseam du même cadrage et dialogues verbeux sans réel style. Ce qui aurait pu être une œuvre expérimentale explorant les limites de son cadre thématique par la mise en exergue des propos d'un temps résolu se résume en une interminable et assommante lecture. Le manque de rythme, conjugué à des ellipses quasi énigmatiques et à une immuable répétition des motifs, étouffe littéralement le récit.
Le formalisme du scénario gâche le trait d'un dessinateur largement influencé par des artistes comme Honoré Daumier et, plus près de nous, Blutch. Grâce à son style lâché et plein de panache, ses personnages se meuvent avec facilité et élégance. Toutefois, il est plus que regrettable que leur liberté de mouvements soit bridée par des choix de mise en scène discutables et surannés. Comme l'a démontré, dans un autre médium, Robert Bresson, les exigences formelles ne doivent en aucun cas être synonyme de lourdeur ou venir briser l'élan narratif. En résumé, au lieu de célébrer la mémoire de son créateur, Courir deux lièvres en renvoie une image déformée et passablement ennuyeuse.
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