Michel, tu as besoin de faire le point, de te retourner sur toi-même. Convoqué juste après le décès de son père par ce qui doit être sa DRH, Michel n’oppose pas la moindre résistance à cette invitation à lever le pied, si tant est que ce dernier ait un jour été appuyé. Vacances, direction la Thaïlande. Ça le changera, peut-être, de son quotidien sordide, état dont il a vaguement conscience mais qui ne le dérange pas outre mesure. À quoi bon s’agiter alors qu’en général, c’est plutôt mal parti. Très mal parti.
Pour sa première bande dessinée publiée, Alain Dual s’attaque à un auteur qu’il affectionne, puisqu’il s’était déjà confronté par le passé à Lanzarote, roman paru peu avant Plateforme, dont le personnage principal est parfaitement transposable de l’un à l’autre. Il concentre le propos de son album sur un paradoxe. D’une part, il y a la rédemption offerte à Michel par l’amour d’une femme et, de l’autre, le projet auquel ce dernier va plus ou moins donner naissance, basé sur l’idée que d’un côté, tu as plusieurs centaines d’occidentaux qui ont tout ce qu’ils veulent, sauf qu’ils n’arrivent plus à trouver de satisfaction sexuelle. De l’autre côté, tu as plusieurs milliards d’individus… ; vaste programme. Dans les deux cas, Michel ne maîtrise pour ainsi dire rien, il est juste là et ça arrive.
Michel Houellebecq est de ces auteurs qui entretiennent avec délectation une confusion sur la part d’eux-mêmes qu’ils diffusent dans leurs récits. Ainsi, le Michel du roman Plateforme semble assez proche par certains aspects de ce que veut bien donner à voir son homonyme, l’homme public : comme une indifférence au monde, comme un renoncement systématique. La sensation que les événements lui glissent dessus prédomine. Cela n’empêche pas son cerveau - une voix off donne sa tonalité au récit, auquel l’écrivain a apporté sa pierre en reprenant certaines parties du texte - de tourner à plein régime autour de ses domaines de prédilection : la condition humaine et sa misère, notamment sexuelle. Les pensées de l’individu sont bien souvent abjectes, mais elles ne dérangent pas grand monde en fin de compte, car il les garde pour lui et se garde bien de franchir la ligne rouge dans les actes. Jean-François Patricola, dans son livre critique Michel Houellebecq ou la provocation permanente, écrit : l’auteur manie à merveille et à dessein les ambiguïtés, renvoyant de ce fait chaque lecteur (…) à ses propres doutes et interrogations ; les mettant mal à l’aise ou dans l’incapacité de trancher.
Le résultat ne devrait pas déplaire à ceux qui goûtent les écrits de l’écrivain : l’esprit est bien là - c’est le moins que l’on puisse dire - et le dessin d’Alain Dual, s’il n’apporte pas de supplément d'âme notable, mais était-ce ici souhaitable, illustre avec une juste sobriété le parcours de celui qui subit - ou plutôt accompagne - le mouvement.
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