N
ew York, 1920. L’immigration, particulièrement italienne, bat son plein. Ils sont des milliers à vouloir troquer la grande botte pour la grande pomme, amenant dans leurs bagages leur hargne et leurs traditions. Forcément, ils se regroupent et forment une communauté. Elle donnera lieu à une activité mafieuse extrêmement rémunératrice mais renforcera aussi une certaine forme de clivage. Bien sûr, les choses ne sont pas si simples. La situation est rendue plus complexe encore par des groupuscules anarchistes qui multiplient intrigues et exactions, contribuant au climat général de violence et d’instabilité qui règne dans les rues et derrière les bars. Chacun veut agrandir sa sphère d’influence.
Dans cet imbroglio où la police elle-même a parfois du mal à tirer son épingle du jeu, Italo Serpio se retrouve dans une situation délicate. Homme de main, il devra faire des choix qui mettront sa loyauté et ses idéaux à rude épreuve. La mort de son frère, dont le cadavre « plombé » a été retrouvé dans un bateau chargé d’immigrés, n’arrange évidemment pas les choses, d’autant plus qu’il a maintenant deux orphelins sur les bras. Mais il n’y a pas grand-chose à y faire : la famille, c’est sacré. Et la vendetta, une institution. Lorenzo Palloni campe là un personnage difficile à cerner, attaché à des valeurs et possédant une fibre humaine indéniable, mais n’hésitant pas à semer le chaos et à ôter des vies si le besoin s’en fait sentir. Disons qu’il fait tout avec franchise et droiture, mais aussi avec une radicalité difficile à appréhender pour ceux qui le côtoient. Mais dans un contexte à ce point délicat, comment faire autrement ? La façon qu’a le scénariste de balader son héros, de le malmener et, parfois, de lui faire reconsidérer ses positions, est pour le moins réjouissante. Il apporte ainsi un soin particulier aux récitatifs, à des textes qui, bien traduits en français, instaurent une ambiance pesante, un rythme dont la lenteur ne peut être que trompeuse. C’est là sans doute que l’osmose indéniable avec le travail d’Andrea Settimo, jeune dessinateur italien, se fait singulièrement sentir. La bichromie, d’une grande douceur, est parfaite pour varier les atmosphères, aidée par un recours à des traits noirs, fins, plus ou moins nombreux selon le taux d’obscurité voulu. Par moments, les décors extérieurs se parent de lumière, tandis que de temps en temps, les rues s’assombrissent et font grimper la tension.
Efficace et élégant, The Corner a toutes les caractéristiques du thriller réussi, avec en plus une classe incroyable, une finesse dans le dessin et dans le façonnage des différents acteurs qui lui donnent un charme fou.
Poster un avis sur cet album