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avier Mussat est un auteur rare. C’est pourtant un homme qui rôde dans le microcosme de la bande dessinée depuis la fin du siècle passé : aujourd’hui enseignant des expressions visuelles et du dessin, il a aussi participé en 1993 à la création de la maison d’édition Ego comme X qui, comme son nom le laisse deviner, propose essentiellement des ouvrages à caractère autobiographique. Carnation, paru cette année chez Casterman, est son second livre.
Xavier Mussat annonce dès les premières pages ouvrir "le cycle des relations toxiques" et, comme l’indique avec délicatesse la couverture, il va plonger les mains dedans. En fin de compte, ce bel emballage se révèle quelque peu trompeur, puisqu’à travers ce qu’il donne l’impression de dérouler, c'est-à-dire son histoire avec Sylvia, c’est le processus dans lequel il s’est enfermé, voire complu, qu’il va décortiquer. Cela avec encore plus d’acuité que dans son premier album, Sainte famille (*), où il revient sur la séparation de ses parents et l’impact que cet événement a pu avoir sur lui, l’inscrivant dans son contexte et le temps.
Emmanuel Carrère disait récemment dans un entretien accordé à Télérama à l’occasion de la sortie de Le royaume : "Il y a des parties de soi que l’on ne connaît pas bien. Je ne crois pas que le fait de les évoquer les conjure, mais c’est intéressant de savoir qu’on a ça en soi, cela calme un peu la certitude qu’on peut avoir parfois d’être maître de ce qu’on vit, de ce qu’on pense.". Carnation, de manière consciente ou non, relève un peu de cet exercice et aborde notamment la question de la perception des choses selon la disposition du moment.
Xavier Mussat a travaillé aux côtés de Fabrice Neaud (Journal) et, à un degré moindre, de Philippe Squarzoni (Saison brune). Ensemble, ils ont participé à la réalisation d'un ouvrage tournant autour de la Maison des Auteurs à Angoulême. Il est notable de constater que la mécanique narrative des trois hommes se rejoint en bien des points, notamment par l'importance donnée à la voix off pour exprimer leurs pensées, par ce goût prononcé pour l’image et l’allégorie, par cette manière d’analyser et de disséquer l’insignifiant pour en révéler une interprétation et, enfin, par la construction minutieuse de leurs récits. À travers ce retour sur cette traversée du malheur solitaire et mélancolique, voire parfois mystique, Xavier Mussat effectue une sorte d’auto-analyse. Cela explique que son propos comme son trait y sont denses et chargés en symboles, signes du temps passé à remuer les éléments pour leur donner sens et essayer de décrypter l’improbable cheminement qui fut le sien. Peut-être aussi essaye-t-il d’apporter une explication à ceux dont il s’est éloigné à l’époque.
Carnation est narré avec talent et devrait combler ceux qui aiment à sonder les tréfonds du comportement humain.
* Sainte famille, actuellement indisponible, va être très prochainement réédité par la maison d'édition Ego comme X.
Un très bon album au graphisme personnel et maîtrisé. On suit le personnage avec un grand intérêt. Une BD d'une rare maturité.
C’est un projet ambitieux que ces 247 planches. Après le succès des prestigieuses BD autobiographiques Persepolis ou Maus, voilà que Xavier Mussat se livre et nous livre ses entrailles dans un très bel écrin. Un livre qu’il aura mis plus de dix ans à mettre en images et en mots, et qui a tout d’une thérapie, parcours nécessaire pour sortir de ce qu’il qualifie dès les premières bulles de relation toxique… Parfois, le récit peut sembler déroutant tant cet album est bavard. Mais que voulez-vous… Il faut comprendre, puis dire et ne négliger aucun détail dans ce long processus introspectif de douloureux détachement, de rupture. Une œuvre d’une richesse complexe. Xavier Mussat fait d’ailleurs preuve d’une belle audace dans le mélange des traits et des styles. Au fil des pages, le dessin et la création en deviennent même salutaires tant c’est aussi un artiste qui s’affirme et s’émancipe que l’on découvre en filigrane. L’histoire d’amour doit ensuite s’extraire de lui comme un corps désormais étranger. Le papier recevra et boira les maux, tandis que l’artiste – fort de son imaginaire teinté de figures cauchemardesques – tuera l’odieux démon tyrannique de son pinceau.
Article complet sur mon blog : http://aumilieudeslivres.wordpress.com/2014/06/17/carnation-x-mussat/