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ême si les Bidochon trônent au centre de sa production, la bibliographie de Christian Binet recèle également de nombreuses pépites des plus brillantes. Des albums comme L'institution, Propos Irresponsables ou Monsieur le Ministre dénotent de l'immense talent narratif du créateur de Kador. Toujours sous le signe de l'humour grinçant, l'auteur rend compte du monde qui nous entoure, met le doigt sur l'absurdité et la bêtise du genre humain tout en se gardant bien de donner toute forme de leçon. Nous sommes tous sur le même bateau, lui compris.
Monsieur le Ministre, c'est Lucien Grangarçon, la définition parfaite du politicien de carrière. Si Robert et Raymonde sont représentatifs du milieu de la moyenne (le couple fait d'ailleurs quelques apparitions dans l'ouvrage), cet affable personnage se veut être la synthèse de l'élu professionnel, de celui dont on retrouve le sourire figé sur les affiches électorales tous les cinq ans. Au fil des pages, le scénariste décrypte, avec sa verve habituelle, toutes les astuces que la machine politique a inventées pour tenter de faire avaler les plus tortueuses des couleuvres aux électeurs : promesses sans lendemain, mises en scène minutieusement planifiées par les spécialistes de la communication, jeux infantiles pour accaparer la moindre parcelle de pouvoir supposé, etc. Le résultat est des plus jouissifs. En effet, cette démonstration de l'impudence institutionnelle via un cynisme de tous les instants est implacable, hilarante et désespérante, mais ô combien révélatrice de nos travers démocratiques.
Bien que le cadre du récit soit clairement marqué par les années Mitterrand (ces histoires datent de 1989-1990) et que certaines références pourraient être devenues obscures pour certains (qui se souvient de L'heure de vérité ou de Jacques Séguéla ?), les observations gardent toute leur pertinence. Les édiles se basent toujours sur les mêmes stratagèmes pour se faire élire tandis que la crédulité des électeurs est une valeur dramatiquement constante. Alors qu'Abel Lanzac et Christophe Blain ont proposé un traitement, certes caricatural, mais en fin de compte très révérencieux à « leur » ministre dans Quai d'Orsay, Binet se veut plus incisif et va directement là où ça fait mal, pour le plus grand plaisir du lecteur. À chacun de choisir quelle est l'approche la plus révélatrice.
Monsieur le Ministre est une œuvre savoureuse et salvatrice, à lire et relire régulièrement, particulièrement avant de glisser son bulletin dans l'urne.
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