U
n jeune garçon s’approche du territoire de l’ogre afin de mettre son bateau à la mer. L’être tant craint le surprend et, un orage violent s’abattant sur eux, l’emmène dans le phare dont il a la garde. Profitant de la tempête qui sévit, cet ancien navigateur scarifié et tatoué va conter à l’enfant le périple qu’il a vécu et qui fait de lui un marginal aux yeux des autres.
Chanouga s’empare de Narcisse Pelletier, un marin vendéen qui, à l’âge de seize ans et à la suite d’un naufrage, passera dix-sept ans de sa vie au sein d’une tribu d’anthropophages. Les informations sur son histoire sont plutôt succinctes, ce qui permet finalement à l’auteur de faire appel à toute son imagination et son amour des grandes épopées pour bâtir un récit attrayant. Quant on est manifestement influencé par Stevenson, Conrad, Melville ou London, l’occasion est trop belle.
Ce premier tome s’attache au parcours de l’adolescent, fasciné par l’océan, qui souhaite plus que tout s’embarquer. Loin de se contenter du cabotage, il aspire au long-cours et à découvrir de nouveaux horizons. Le scénariste décrit la force de caractère du mousse et sa fascination pour la mer qui lui permettent d’affronter les conditions pour le moins dures – voire inhumaines – de son engagement. Sa vision des évènements est cohérente et sa narration fait preuve de beaucoup de sensibilité et s’appuie sur des dialogues efficaces. Seule la fin – l’album se clôt juste après l’abandon du môme – apparaîtra frustrante à certains, mais cette introduction est nécessaire pour que l’on s’approprie le personnage. La vie chez les « sauvages », c’est pour le prochain opus.
Le travail graphique de Chanouga exhale un vrai parfum d’aventure. Privilégiant les grandes cases, il parvient à recréer les différentes atmosphères avec des planches aux multiples nuances, somptueuses, immersives et dont certaines sont pleines de sensualité.
La nouvelle collection Cabestan de l’éditeur Paquet prend la mer sous un vent favorable.
Narcisse est l’histoire d’un moussaillon qui est sous l’emprise de l’appel de l’Océan. Oui, en effet, certains hommes sont attirés comme des aimants par un appel. Cela peut être celui de la montagne, des profondeurs, des femmes ou de la mer.
En l’occurrence, vous avez un gamin de 14-15 ans qui dit à son papa et à sa maman qu’il veut partir sur un navire pour découvrir le monde et c’est chose faite. Vous me direz que les parents voulaient se débarrasser de lui et ben non, même pas ! Question authenticité des sentiments, il faudra repasser.
Pour le reste, le récit demeure classique. Il passe de navire en navire avant d’être abandonnée sur une île déserte. Là encore, il s’agira de survie en milieu hostile. Il n’y pas de surprise notoire dans le scénario assez linéaire. Les auteurs auraient dû sans doute insister un peu plus sur la psychologie du personnage mais là encore, il y a des choses plus importantes à mettre en avant.
Le résultat : un récit de plus manquant d’originalité mais qui est assez consistant pour assurer au minimum. Pas mal, satisfaisant. On aurait aimé plus d’audace.
Une très belle surprise que cette nouvelle série rendant hommage à Narcisse Pelletier, ce jeune mousse au destin très particulier, celui d’avoir vécu, après avoir été laissé pour mort suite à un naufrage, dix-sept ans chez les Aborigènes d’Australie, « chez les sauvages » comme on le disait encore « innocemment » à cette époque… Le personnage a d’ailleurs gagné le surnom de « Robinson français »…
Côté graphisme, le lecteur peut se dire gâté. Réaliste, le dessin laisse délibérément subsister les traces de crayonné, conférant un supplément d’âme aux personnages et aux objets, à la manière des mystérieux tatouages tribaux du personnage principal. Le traitement de la couleur est superbe, avec un océan aux magnifiques tons bleus turquoise qui donnent envie d’y plonger (avec un équipement tout de même…), sensation renforcée par la puissance émanant du majestueux trois-mâts Saint-Paul, qui apparaît tel une invitation au voyage. Car en effet, le pouvoir de cet album est tellement immersif qu’il est conseillé d’avoir le pied marin pour l’aborder – les planches sont trop belles pour vomir dessus !
Auteur complet, Chanouga a également rédigé les dialogues et le scénario, instillant suffisamment de mystère pour le rendre captivant. Le talisman offert par un vieux loup de mer à Narcisse, alors qu’il était enfant, fut-il décisif dans sa détermination à prendre la mer ? Ce dernier a-t-il vraiment eu ces visions étonnantes telles qu’elles sont décrites ici ? Peu importe la part de vérité, tout paraît plausible et on saura bien patienter jusqu’à la sortie du deuxième tome pour voguer de nouveau vers les promesses de cet outre-monde où dépaysement rime avec merveilleux…