L
upano, auteur à succès ? C’est un statut que personne ne peut décemment lui dénier. Sa bibliographie compte des séries qui séduisent d’emblée. Il n’y a qu’à penser au récent Les vieux fourneaux, dont le dessin enlevé, les couleurs chatoyantes et les dialogues au ton volontiers badin emportent directement les suffrages. Pour aller un peu plus loin dans le passé, on se souviendra avec plaisir d’un Alim le tanneur porté par le trait et la colorisation tout en douceur de Virginie Augustin, sans oublier qu’avec des productions en cours aussi finement réalisées que L’homme qui n’aimait pas les armes à feu ou Azimut, ce prolifique scénariste se positionne sans aucun doute comme l’un des meilleurs du moment, sachant en outre s’entourer de compères illustrateurs de tout premier ordre.
Derrière cette impressionnante galerie, sa collaboration avec Yannick Corboz fait figure de curiosité. Déjà à l’époque de Célestin-gobe-la-lune, la saute stylistique entre les deux tomes avait fait frémir – et bondir – les innombrables lecteurs attachés à l’uniformité d’une série, sacro-sainte garantie d’une belle présentation en bibliothèque, d’un produit attendu et répondant aux attentes. Avec L’assassin qu’elle mérite, le dessinateur donne du grain à moudre à ses détracteurs, le graphisme ayant allégrement changé depuis un tome initial marqué par un encrage prononcé, faisant la part belle aux ambiances typées d’une ville de Vienne tiraillée entre sa noblesse et sa masse ouvrière. Par la suite, le trait s’était affiné, davantage dans l’esprit de la ligne claire, tandis que la mise en couleurs, abandonnant un peu de son identité, avait tendance à s’affadir, ou tout du moins à perdre en nuance. Le passage de témoin entre Catherine Moreau et Nicolas Vial était plus que marquant. Dans ce troisième opus, ce dernier opère seul, et force est de constater qu’il souffle le chaud et le froid : une entrée en matière hésitante, que l’on n’hésiterait pas à taxer de faute de goût si nous nous complaisions dans la position facile du chroniqueur prompt à fustiger la moindre incohérence, ne met pas le lecteur en position de confort. Pourtant, reprenant ses esprits, celui-ci trouvera mille occasions de s’esbaudir. Comprenons-nous bien : ce travail n’est pas de nature à provoquer immédiatement un enthousiasme démesuré, mais il interpelle, interroge notre rapport à la beauté et, surtout, à la continuité, puis réserve quelques belles surprises. La vue d’un lac, par exemple, suscite un sentiment de quiétude autant que de résignation, alors qu’une incursion dans une salle obscure permet à tous les complots de se nouer.
Bref, vous l’aurez compris, cet album est de ceux qui ne laissent pas indifférent. Au final, L’assassin qu’elle mérite pourrait bien être la série que le lecteur se doit de mériter. Parce qu’elle ne s’offre pas facilement, au contraire des catins de cette hypocrite cité viennoise désireuses d'accroître leur pécule… utopique chimère d’un monde gouverné par les hommes et l’argent. Amasser les billets, en imposer aux autres… telles sont les aspirations du jeune Victor, savamment entretenues et avivées par un mécène aux obscurs desseins. Parlons-en, de ce mécène, dandy riche mais désœuvré, fuyant l’ennui pour mieux s’attirer les ennuis. Se pourrait-il que, sous la carapace et le dédain, se cache une blessure mal cicatrisée ? Allez savoir, avec ce diable du Lupano qui brouille les pistes et redistribue les cartes. Une fois de plus, il prend une direction insoupçonnée, maniant l’ellipse avec aisance et ménageant les surprises. Le changement de décor tombe à point nommé : quittant les ors de Vienne, les rescapés des deux premiers actes cinglent vers la Ville Lumière. Paris, éternelle, ouvre ses portes et accueille l’exposition universelle, marquant l’avènement de la fée électricité. L’occasion est belle, évidemment, de lancer les acteurs à la découverte de la modernité, tandis qu’en coulisses, toujours, les vieilles lois perdurent, celle de l’argent avant tout. De l’argent dont dépendent les idées, les révolutions et les destins individuels. La veine sociale est ainsi, plus que jamais, abordée de front, avec, dans le rôle du financier ombrageux, celui-là même qui, de tout temps, sait tirer parti d’une providentielle naissance en milieu privilégié. Une fois de plus, les intérêts s’entremêlent avec, dans la main des puissants, quelques dés pipés ou atouts tirés d’une manche complice. Derrière les masques, les personnages s’activent donc, et ce sont eux, sans doute, qui portent l’histoire et maintiennent l’intérêt, reléguant au rang de broutilles les quelques hésitations graphiques. Et tant pis si le doute affleure au détour d’une teinte trop éclatante ou d’une police d’écriture que l’on souhaiterait plus travaillée.
Que retenir, en définitive, de cette œuvre au ton si particulier ? Une sorte de désordre ordonné, de parcours erratique qu’un profond attachement pour de tortueuses destinées empêche, par moments, de déraper complètement. Il est vrai qu’entre une salutaire sortie des sentiers battus et une fatale sortie de route, la limite est souvent fort mince. Que cela n’empêche personne de prendre des risques, surtout ! Quitte à recouvrir d’un voile pudique – ici une merveilleuse couverture – les errements d’un talent qui se cherche.
Superbe série!
Pour +, voir mon avis laissé sur le T1 qui couvre l'ensemble.
Vous ne regretterez pas votre lecture!
Les scénarios de Lupano sont très malins et savent renouveler les rebondissements. Le héros évolue, change de décor (l'expo universelle de Paris) et fait de nouvelles rencontres, je suis donc toujours accroché pour la suite !
Mouarf, c'est quand même un peu moins bien que les deux premiers albums. Je croyais que ça allait être plus alambiqué que cela ! J'suis un peu déçu, je l'avoue...
Passé un certain age on a l'habitude de dire due l'on cesse de nous raconter des histoires.
Avec Wilfrid Lupano c'est tout l'inverse tant ses talents de conteur sont bons.
3° opus de cette saga passionnante de bout en bout.
A lire d'urgence.
10/10