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eut-on aimer en 2014 un album paru en 1976 et totalement ancré dans son époque, c'est-à-dire celle de Métal hurlant ? C’est un peu la question qui se pose à la découverte de cette réédition de La nuit, ouvrage emblématique de l’œuvre de Druillet. Il faut dire que l'auteur est un vrai monument de la bande dessinée. Pénétrer dans son univers par ce livre inclassable, c’est un peu se prendre en pleine face toute la folie de ce créateur hors norme, durement éprouvé à ce moment de sa vie par la disparition de son épouse décédée d’un cancer. « Si nous voulons vivre mieux, apprenons enfin la mort », assène-t-il en préface. Et tout le livre se trouve là résumé.
Fuite en avant vers une fin inéluctable, l’histoire met en scène des personnages décharnés dans un monde apocalyptique, des gangs de motards camés jusqu’aux yeux et survivant à grand-peine dans un monde de désolation. Le récit est violent, ce n’est rien de le dire. Et cette violence, elle transparaît autant dans des dialogues souvent réduits à des éructations que dans un dessin qui agresse les sens. Le trait est à la fois précis et abondant, peignant des tableaux vertigineux qui sont de véritables odes à la mort et à la décrépitude. Les couleurs s’en mêlent, aveuglantes, plongeant le lecteur audacieux dans une ambiance dont toute personne sensée voudrait s’échapper. Les scènes se succèdent, dans un délire de sang et d’emportement. Par cette débauche d’effets visuels, Druillet refuse toute facilité. Il n’aide pas son public, mais au contraire le malmène, lui fait ressentir la souffrance jusque dans sa chair. Pas d’échappatoire, si ce n’est dans un sacrifice salvateur. La haine de l’artiste pour une société déshumanisée, faisant du désespoir une simple source de statistiques, suinte de chaque planche.
De toute évidence, les esprits cartésiens passeront leur chemin, rebutés par ce qui, à première vue, est un délire impénétrable. Les autres, curieux, se laisseront porter par un rythme qui ne faiblit pas, par un tourbillon d’événements qui convergent et précipitent les acteurs vers l’annihilation. Nihiliste, tel pourrait finalement être le meilleur qualificatif pour décrire La nuit. Comme l'annonce le titre, c’est à une confrontation avec la faucheuse que chacun est convié, avec ce qu'on peut attendre d’un corps qui compte les heures avant le grand saut.
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